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se substituer les uns aux autres prouve à nouveau, tout comme leur plasticité, l’extrême généralité de l’action utile qu’ils exercent. Ce qui est essentiel, c’est que des individus soient réunis, que des sentiments communs soient ressentis et qu’ils s’expriment par des actes communs ; mais quant à la nature particulière de ces sentiments et de ces actes, c’est chose relativement secondaire et contingente. Pour prendre conscience de soi, le groupe n’a pas besoin de produire tels gestes plutôt que tels autres. Il faut qu’il communie dans une même pensée et dans une même action ; mais peu importent les espèces sensibles sous lesquelles a lieu cette communion. Sans doute, ce n’est pas au hasard que se déterminent ces formes extérieures ; elles ont leurs raisons ; mais ces raisons ne tiennent pas à ce qu’il y a d’essentiel dans le culte.

Tout nous ramène donc à la même idée : c’est que les rites sont, avant tout, les moyens par lesquels le groupe social se réaffirme périodiquement. Et par là, peut-être, pouvons-nous arriver à reconstruire hypothétiquement la manière dont le culte totémique a dû, primitivement, prendre naissance. Des hommes qui se sentent unis, en partie par les liens du sang, mais plus encore par une communauté d’intérêts et de traditions, s’assemblent et prennent conscience de leur unité morale. Pour les raisons que nous avons exposées, ils sont amenés à se représenter cette unité sous la forme d’une sorte très spéciale de consubstantialité : ils se considèrent comme participant tous de la nature d’un animal déterminé. Dans ces conditions, il n’y aura pour eux qu’une manière d’affirmer leur existence collective : c’est de s’affirmer eux-mêmes comme des animaux de cette même espèce, et cela non pas seulement dans le silence de la conscience, mais par des actes matériels. Ce sont ces actes qui constitueront le culte, et ils ne peuvent évidemment consister qu’en mouvements par lesquels l’homme imite l’animal avec lequel il s’identifie. Ainsi entendus, les rites imitatifs apparaissent comme la