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Ce qui est tout d’abord impliqué dans la notion de relation causale, c’est l’idée d’efficacité, de pouvoir producteur, de force active. On entend communément par cause ce qui est susceptible de produire un changement déterminé. La cause, c’est la force avant qu’elle n’ait manifesté le pouvoir qui est en elle ; l’effet, c’est le même pouvoir, mais actualisé. L’humanité s’est toujours représenté la causalité en termes dynamiques. Sans doute, certains philosophes refusent à cette conception toute valeur objective ; ils n’y voient qu’une construction arbitraire de l’imagination qui ne correspondrait à rien dans les choses. Mais nous n’avons pas à nous demander pour l’instant si elle est fondée ou non dans la réalité : il nous suffit de constater qu’elle existe, qu’elle constitue et qu’elle a toujours constitué un élément de la mentalité commune ; et c’est ce que reconnaissent ceux-là mêmes qui la critiquent. Notre but immédiat est de chercher non ce qu’elle peut valoir logiquement, mais comment elle s’explique.

Or elle dépend de causes sociales. Déjà l’analyse des faits nous a permis de faire voir que le prototype de l’idée de force avait été le mana, le wakan, l’orenda, le principe totémique, noms divers donnés à la force collective, objectivée et projetée dans les choses[1]. Le premier pouvoir que les hommes se sont représenté comme tel semble donc bien avoir été celui que la société exerce sur ses membres. Le raisonnement vient confirmer ce résultat de l’observation ; il est possible, en effet, d’établir pourquoi cette notion de pouvoir, d’efficacité, de force agissante ne peut nous être venue d’une autre source.

Il est tout d’abord évident et reconnu de tous qu’elle ne saurait nous être fournie par l’expérience externe. Les sens ne nous font voir que des phénomènes qui coexistent ou qui se suivent, mais rien de ce qu’ils perçoivent ne peut nous donner l’idée de cette action contraignante et déter-

  1. V. plus haut, p. 290-292.