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objet déterminé ; mais, parce que ce sont des émotions et qu’elles sont particulièrement intenses, elles sont aussi éminemment contagieuses. Elles font donc tache d’huile ; elles s’étendent à tous les autres états mentaux qui occupent alors l’esprit ; elles pénètrent et contaminent notamment les représentations où viennent s’exprimer les divers objets que l’homme, au même moment, a dans les mains ou sous les yeux : dessins totémiques qui recouvrent son corps, bull-roarers qu’il fait retentir, rochers qui l’entourent, sol qu’il foule sous ses pas, etc. C’est ainsi que ces objets eux-mêmes prennent une valeur religieuse qui, en réalité, ne leur est pas inhérente, mais leur est conférée du dehors. La contagion n’est donc pas une sorte de procédé secondaire par lequel le caractère sacré, une fois acquis, se propage ; c’est le procédé même par lequel il s’acquiert. C’est par contagion qu’il se fixe ; on ne peut s’étonner qu’il se transmette contagieusement. Ce qui en fait la réalité c’est une émotion spéciale ; s’il s’attache à un objet, c’est que cette émotion a rencontré cet objet sur sa route. Il est donc naturel que, de celui-ci, elle s’étende à tous ceux qu’elle trouve également à proximité, c’est-à-dire à tous ceux qu’une raison quelconque, contiguïté matérielle ou pure similitude, a rapprochés du premier dans l’esprit.

Ainsi la contagiosité du caractère sacré trouve son explication dans la théorie que nous avons proposée des forces religieuses, et, par cela même, sert à la confirmer[1]. En même temps, elle nous aide à comprendre un trait de la mentalité primitive sur lequel nous avons précédemment appelé l’attention.

Nous avons vu[2] avec quelle facilité le primitif confond

  1. Il est vrai que cette contagiosité n’est pas spéciale aux forces religieuses ; celles qui ressortissent à la magie ont la même propriété, et, cependant, il est évident qu’elles ne correspondent pas à des sentiments sociaux objectivés. Mais c’est que les forces magiques ont été conçues sur le modèle des forces religieuses. Nous revenons plus loin sur ce point (v. p. 516).
  2. V. plus haut, p. 336 et suiv.