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qualité d’étrangère, il n’y a rien d’irreprésentable à ce qu’elle puisse s’en échapper. C’est ainsi que la chaleur ou l’électricité, qu’un objet quelconque a reçues d’une source externe, sont transmissibles au milieu ambiant, et l’esprit accepte sans résistance la possibilité de cette transmission. L’extrême facilité avec laquelle les forces religieuses rayonnent et se diffusent n’a donc rien qui doive surprendre si elles sont généralement conçues comme extérieures aux êtres en qui elles résident. Or c’est bien ce qu’implique la théorie que nous avons proposée.

Elles ne sont, en effet, que des forces collectives hypostasiées, c’est-à-dire des forces morales ; elles sont faites des idées et des sentiments qu’éveille en nous le spectacle de la société, non des sensations qui nous viennent du monde physique. Elles sont donc hétérogènes aux choses sensibles ou nous les situons. Elles peuvent bien emprunter à ces choses les formes extérieures et matérielles sous lesquelles elles sont représentées ; mais elles ne leur doivent rien de ce qui fait leur efficacité. Elles ne tiennent pas par des liens internes aux supports divers sur lesquels elles viennent se poser ; elles n’y ont pas de racines ; suivant un mot que nous avons employé déjà[1] et qui peut le mieux servir à les caractériser, elles y sont surajoutées. Aussi n’y a-t-il pas d’objets qui soient, à l’exclusion de tous autres, prédestinés à les recevoir ; les plus insignifiants, les plus vulgaires même peuvent remplir ce rôle : ce sont des circonstances adventives qui décident quels sont les élus. Qu’on se rappelle en quels termes Codrington parle du mana : « C’est, dit-il, une force qui n’est point fixée sur un objet matériel, mais qui peut être amenée sur presque toute espèce d’objet[2]. » De même, le Dakota de Miss Fletcher nous représentait le Wakan comme une sorte de force ambulante qui va et vient à travers le monde, se

  1. V. plus haut, p. 328.
  2. V. p. 277.