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Il ne serait pas impossible que l’extraction des dents fût parfois destinée à produire des effets du même genre. En tout cas, il est certain que les rites si cruels de la circoncision et de la subincision ont pour objet de conférer aux organes génitaux des pouvoirs particuliers. En effet, le jeune homme n’est admis au mariage qu’après s’y être soumis ; c’est donc qu’il leur doit des vertus spéciales. Ce qui rend indispensable cette initiation sui generis, c’est que l’union des sexes est, dans toutes les sociétés inférieures, marquée d’un caractère religieux. Elle est censée mettre en jeu des forces redoutables que l’homme ne peut aborder sans danger, à moins d’avoir acquis, par des procédés rituels, l’immunité nécessaire[1] : c’est à quoi est employée toute une série de pratiques, positives et négatives, dont la circoncision et la subincision sont le prodrome. En mutilant douloureusement un organe, on lui donne donc un caractère sacré, puisqu’on le met, par cela même, en état de résister à des forces également sacrées, qu’il ne pourrait pas affronter autrement.

Nous disions au début de cet ouvrage que tous les éléments essentiels de la pensée et de la vie religieuse doivent se retrouver, au moins en germe, dès les religions les plus primitives : les faits qui précèdent confirment cette assertion. S’il est une croyance qui passe pour être spéciale aux religions les plus récentes et les plus idéalistes, c’est celle qui attribue à la douleur un pouvoir sanctifiant. Or, cette même croyance est à la base des rites qui viennent d’être observés. Sans doute, elle est étendue différemment suivant les moments de l’histoire ou on la considère. Pour le chrétien, c’est surtout sur l’âme qu’elle est censée agir : elle l’épure, l’anoblit, la spiritualise. Pour l’Australien, c’est sur le corps qu’elle est efficace ; elle accroît les énergies vitales ; elle fait pousser la barbe et les cheveux, elle

  1. On trouvera des indications sur cette question dans notre mémoire sur La prohibition de l’inceste et ses origines (Année sociologique, I, p. 1 et suiv.), et dans Crawley, Mystic Rose, p. 37 et suiv.