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le décès doit être évité ; car on croit que l’âme du défunt continue à y séjourner. C’est pourquoi on lève le camp et on le transporte à quelque distance[1] ; dans certains cas, on le détruit avec tout ce qu’il contient[2], et un temps s’écoule avant qu’on puisse revenir au même endroit[3]. Il arrive que déjà le mourant fait comme le vide autour de lui : on l’abandonne, après l’avoir installé aussi confortablement que possible[4].

Un contact exceptionnellement intime est celui qui résulte de l’absorption d’un aliment. De là vient l’interdiction de manger les animaux ou les végétaux sacrés, notamment ceux qui servent de totems[5]. Un tel acte apparaît comme tellement sacrilège que la prohibition s’applique même aux adultes ou, tout au moins, à la plupart d’entre eux ; seuls, les vieillards atteignent une suffisante dignité religieuse pour n’être pas toujours soumis à cet interdit. On a parfois expliqué cette défense par la parenté mythique qui unit l’homme aux animaux dont il porte le nom ; ils seraient protégés par le sentiment de sympathie qu’ils inspirent en qualité de parents[6]. Mais ce qui montre bien que l’interdiction n’a pas pour origine une simple révolte du sentiment de solidarité domestique, c’est que la consommation de la chair prohibée passe pour déterminer automatique-

  1. North. Tr., p. 518-5l9 ; Howitt, Nat. Tr., p. 449.
  2. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 498 ; Schulze, loc. cit., p. 231.
  3. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 449.
  4. Howitt, Nat. Tr., p. 451.
  5. Si les interdictions alimentaires qui s’appliquent au végétal ou à l’animal totémique sont les plus importantes, il s’en faut que ce soient les seules. Nous avons vu qu’il y a des aliments interdits aux non-initiés, parce qu’ils sont considérés comme sacrés ; or, des causes très diverses peuvent leur conférer ce caractère. Par exemple, comme nous le verrons plus loin, les animaux qui montent sur le faîte des arbres élevés sont réputés sacrés parce qu’ils sont voisins du grand dieu qui vit aux cieux. Il est possible aussi que, pour des raisons différentes, la chair de certains animaux ait été spécialement réservée aux vieillards et que, par suite, elle ait paru participer du caractère sacré qui est reconnu à ces derniers.
  6. V. Frazer, Totemism, p. 7.