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voisines sont spécialement convoqués à ces fêtes qui sont des sortes de foires internationales, à la fois religieuses et laïques[1]. Des croyances qui s’élaborent dans des milieux sociaux ainsi composés ne peuvent rester le patrimoine exclusif d’une nationalité déterminée. L’étranger à qui elles ont été révélées les rapporte dans sa tribu natale, une fois qu’il y est rentré ; et comme, tôt ou tard, il est forcé d’inviter à son tour ses hôtes de la veille, il se fait, de société à société, de continuels échanges d’idées. C’est ainsi qu’une mythologie internationale se constitua dont le grand dieu se trouva tout naturellement être l’élément essentiel, puisqu’elle avait son origine dans les rites de l’initiation qu’il a pour fonction de personnifier. Son nom passa donc d’une langue dans l’autre avec les représentations qui y étaient attachées. Le fait que les noms des phratries sont généralement communs à des tribus très différentes ne put que faciliter cette diffusion. L’internationalisme des totems de phratrie fraya les voies à celui du grand dieu.

V

Nous voici parvenus à la conception la plus haute à laquelle se soit élevé le totémisme. C’est le point où il rejoint et prépare les religions qui suivront, et il nous aide à les comprendre. Mais en même temps, on peut voir que cette notion culminante se relie sans interruption aux croyances plus grossières que nous avons analysées en premier lieu.

Le grand dieu tribal, en effet, n’est qu’un esprit ances-

  1. V. Howitt, Nat. Tr., p.511-512, 513, 602 et suiv. ; Mathews, J. of R. S. of N. S. Wales, XXXVI II, p. 270. On invite aux fêtes de l’initiation non seulement les tribus avec lesquelles un connubium régulier est établi, mais aussi celles avec lesquelles on a des querelles à régler ; des vendetta, à demi cérémonielles et à demi sérieuses, ont lieu dans ces occasions.