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conçues comme contenant en elles la source de toute efficacité religieuse ; car, comme l’imagination ne remonte pas au-delà, c’est d’elles et d’elles seules que sont censées provenir toutes les choses sacrées, les instruments du culte, les membres du clan, les animaux de l’espèce totémique. Elles incarnent toute la religiosité diffuse dans la tribu et dans le monde, et voilà pourquoi on leur attribue des pouvoirs sensiblement supérieurs à ceux dont jouissent de simples âmes d’hommes. D’ailleurs, le temps, à lui seul, accroît et renforce le caractère sacré des choses. Un churinga très ancien inspire beaucoup plus de respect qu’un churinga récent et on lui suppose plus de vertus[1]. Les sentiments de vénération dont il a été l’objet pendant la série des générations successives qui l’ont manié se sont comme accumulés en lui. Pour la même raison, des personnages qui, depuis des siècles, sont l’objet de mythes qui se transmettent respectueusement de bouche en bouche et que les rites mettent périodiquement en action, ne pouvaient manquer de prendre, dans l’imagination populaire, une place tout à fait à part. Mais comment se fait-il que, au lieu de rester en dehors des cadres de la société, ils en soient devenus membres réguliers ?

C’est que chaque individu est le double d’un ancêtre. Or, quand deux êtres sont à ce point parents, ils sont naturellement conçus comme solidaires ; puisqu’ils participent d’une même nature, ce qui affecte l’un doit, semble-t-il, affecter nécessairement l’autre. La troupe des ancêtres mythiques se trouva ainsi rattachée par un lien moral à la société des vivants ; on prêta aux uns et aux autres les mêmes intérêts et les mêmes passions ; on vit en eux des associés. Seulement, comme les premiers avaient une dignité plus haute que les seconds, cette association prit, dans l’esprit public, la forme d’un rapport entre supé-

  1. Spencer et Gillen, North. Tr., p. 277.