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par là qu’il se définit ; il est préposé à un certain ordre de phénomènes, cosmiques ou sociaux ; il a une fonction plus ou moins précise à remplir dans le système du monde.

Mais il est des âmes qui satisfont à cette double condition et qui, par conséquent, sont, au sens propre, des esprits. Ce sont les âmes de ces personnages mythiques que l’imagination populaire a placés à l’origine des temps, les gens de l’Alcheringa ou Altjiranhamitjina des Arunta, les Mura-mura des tribus du lac Eyre, les Muk-Kurnai des Kurnai, etc. En un sens, ce sont bien encore des âmes puisqu’elles passent pour avoir jadis animé des corps dont elles se sont séparées à un moment donné. Mais, alors même qu’elles vivaient d’une vie terrestre, elles possédaient déjà, comme nous l’avons vu, des pouvoirs exceptionnels ; elles avaient un mana supérieur à celui des hommes ordinaires et elles l’ont conservé. De plus, elles sont chargées de fonctions déterminées.

En premier lieu, que l’on accepte la version de Spencer et Gillen ou celle de Strehlow, c’est à elles que revient le soin d’assurer le recrutement périodique du clan. Elles sont préposées au phénomène de la conception.

Une fois que la conception est opérée, la tâche de l’ancêtre n’est pas terminée. C’est à lui qu’il appartient de veiller sur le nouveau-né. Plus tard, quand l’enfant est devenu un homme, il l’accompagne à la chasse, rabat vers lui le gibier, l’avertit, par la voie des songes, des dangers qu’il peut courir, le protège contre ses ennemis, etc. Sur ce point, Strehlow est entièrement d’accord avec Spencer et Gillen[1]. On se demandera, il est vrai, comment, dans la version de ces derniers, il est possible à l’ancêtre de s’acquitter de cette fonction ; car, puisqu’il se réincarne au moment de la conception, il devrait, semble-t-il, se confondre avec l’âme de l’enfant et, par suite, ne saurait le protéger du dehors. Mais c’est qu’en réalité il ne se réincarne

  1. Strehlow, II, p. 76 et n. 1 ; Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 514, 516.