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uns des autres, comme ils occupent des points différents du temps et de l’espace, chacun d’eux constitue un milieu spécial où les représentations collectives viennent se réfracter et se colorer différemment. Il en résulte que, si toutes les consciences engagées dans ces corps ont vue sur le même monde, a savoir que le monde d’idées et de sentiments qui font l’unité morale du groupe, elles ne le voient pas toutes sous le même angle ; chacune l’exprime à sa façon.

De ces deux facteurs, également indispensables, le premier n’est certes pas le moins important ; car c’est lui qui fournit la matière première de l’idée d’âme. On sera peut-être étonné de voir attribuer un rôle aussi considérable à l’élément impersonnel dans la genèse de la notion de personnalité. Mais l’analyse philosophique de l’idée de personne, qui a devancé, et de beaucoup, l’analyse sociologique, est arrivée sur ce point à des résultats analogues. Entre tous les philosophes, Leibniz est un de ceux qui ont eu le plus vif sentiment de ce qu’est la personnalité ; car la monade est, avant tout, un être personnel et autonome. Et cependant, pour Leibniz, le contenu de toutes les monades est identique. Toutes, en effet, sont des consciences qui expriment un seul et même objet, le monde ; et comme le monde lui-même n’est qu’un système de représentations, chaque conscience particulière n’est, en somme, qu’un reflet de la conscience universelle. Seulement, chacune l’exprime de son point de vue et à sa manière. On sait comment cette différence de perspectives vient de ce que les monades sont diversement situées les unes par rapport aux autres et par rapport au système total qu’elles constituent.

Sous une autre forme, Kant exprime le même sentiment. Pour lui, la clef de voûte de la personnalité est la volonté. Or, la volonté est la faculté d’agir conformément à la raison, et la raison est ce qu’il y a de plus impersonnel en nous. Car la raison n’est pas ma raison ; c’est la raison humaine