Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/395

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leurs premières raisons d’être. Dès les sociétés australiennes, nous les voyons qui commencent à s’organiser dans ce but. D’ailleurs, elles n’eurent pas besoin pour cela de subir des transformations fondamentales. Tant il est vrai qu’une même institution sociale peut, sans changer de nature, remplir successivement des fonctions différentes !

VI

L’idée d’âme a été pendant longtemps et reste encore en partie la forme populaire de l’idée de personnalité[1]. La genèse de la première de ces idées doit donc nous aider à comprendre comment la seconde s’est constituée.

Il ressort de ce qui précède que la notion de personne est le produit de deux sortes de facteurs. L’un est essentiellement impersonnel : c’est le principe spirituel qui sert d’âme à la collectivité. C’est lui, en effet, qui constitue la substance même des âmes individuelles. Or il n’est la chose de personne en particulier : il fait partie du patrimoine collectif ; en lui et par lui, toutes les consciences communient. Mais d’un autre côté, pour qu’il y ait des personnalités séparées, il faut qu’un autre facteur intervienne qui fragmente ce principe et qui le différencie : en d’autres termes, il faut un facteur d’individuation. C’est le corps qui joue ce rôle. Comme les corps sont distincts les

  1. On objectera peut-être que l’unité est la caractéristique de la personnalité, alors que l’âme a toujours été conçue comme multiple, comme susceptible de se diviser et de se subdiviser presque à l’infini. Mais nous savons aujourd’hui que l’unité de la personne est également faite de parties, qu’elle est, elle aussi, susceptible de se diviser et de se décomposer. Cependant, la notion de personnalité ne s’évanouit pas par cela seul que nous avons cessé de la concevoir sous la forme d’un atome métaphysique et indivisible. Il en est de même de ces conceptions populaires de la personnalité qui ont trouvé leur expression dans l’idée d’âme. Elles montrent que les peuples ont toujours eu le sentiment que la personne humaine n’avait pas cette unité absolue que lui ont prêtée certains métaphysiciens.