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C’est d’ailleurs ce qui explique les singulières confusions dont nous avons, chemin faisant, rencontré des exemples. L’individu, l’âme d’ancêtre qu’il réincarne ou dont la sienne est une émanation, son churinga, les animaux de l’espèce totémique, sont, disions-nous, choses partiellement équivalentes et substituables les unes aux autres. C’est que, sous de certains rapports, elles affectent toutes la conscience collective de la même manière. Si le churinga est sacré, c’est à cause des sentiments collectifs de respect qu’inspire l’emblème totémique, gravé sur sa surface ; or le même sentiment s’attache aux animaux ou aux plantes dont le totem reproduit la forme extérieure, à l’âme de l’individu puisqu’elle est elle-même pensée sous les espèces de l’être totémique, et enfin à l’âme ancestrale dont la précédente n’est qu’un aspect particulier. Ainsi tous ces objets divers, réels ou idéaux, ont un côté commun par où ils suscitent dans les consciences un même état affectif, et, par là, ils se confondent. Dans la mesure où ils sont exprimés par une seule et même représentation, ils sont indistincts. Voilà comment l’Arunta a pu être amené à voir dans le churinga le corps commun de l’individu, de l’ancêtre, et même de l’être totémique. C’est une manière de s’exprimer à lui-même l’identité des sentiments dont ces différentes choses sont l’objet.

Toutefois, de ce que l’idée d’âme dérive de l’idée de mana, il ne suit nullement que la première soit d’une origine relativement tardive ni qu’il y ait eu une époque de l’histoire ou les hommes n’auraient connu les forces religieuses que sous leurs formes impersonnelles. Quand, par le mot de pré-animisme, on entend désigner une période historique pendant laquelle l’animisme aurait été totalement ignoré, on fait une hypothèse arbitraire[1] ; car il n’y a pas de peuple où l’idée d’âme et l’idée de mana ne coexistent. On n’est

  1. C’est la thèse de Preuss dans les articles du Globus que nous avons plusieurs fois cités. Il semble que M. Lévy-Bruhl tend lui aussi vers la même conception (v. Fonctions mentales, etc., p. 92-93).