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humaine[1]. Beaucoup d’Indiens de l’Amérique du Nord, dit le prince de Wied, disent qu’ils ont un animal dans le corps[2]. Les Bororo du Brésil se figurent leur âme sous l’aspect d’un oiseau et, pour cette raison, ils croient être des oiseaux de cette même variété[3]. Ailleurs, elle est conçue comme un serpent, un lézard, une mouche, une abeille, etc.[4].

Mais c’est surtout après la mort que cette nature animale de l’âme se manifeste. Pendant la vie, ce caractère est comme partiellement voilé par la forme même du corps humain. Mais, une fois que la mort l’a mise en liberté, elle redevient elle-même. Chez les Omaha, dans deux au moins des clans du buffle, on croit que les âmes des morts s’en vont rejoindre les buffles, leurs ancêtres[5]. Les HIopi sont divisés en un certain nombre de clans, dont les ancêtres étaient des animaux ou des êtres à forme animale. Or, rapporte Schoolcraft, ils disent qu’à la mort ils reprennent leur forme originelle ; chacun d’eux redevient un ours, un cerf, selon le clan auquel il appartient[6]. Très souvent, l’âme passe pour se réincarner dans un corps d’animal[7]. C’est de là très vraisemblablement

  1. Roth, Superstition, etc., § 83. C’est probablement une forme de totémisme sexuel.
  2. Prinz zu Wied, Reise in das innere Nord-Amerika, II, p. 190.
  3. K. von den Steinen, Unter den Naturvölkern Zentral-Bräsiliens, 1894, p. 511, 512.
  4. V. Frazer, Golden Boughh, I, p. 250, 253, 256, 257, 258.
  5. Third Rep., p. 229, 233.
  6. Indian Tribes, IV, p. 86.
  7. Par exemple, chez les Batta de Sumatra (v. Golden Bough2, III, p. 420), en Mélanésie (Codrington, The Melanesians, p. 178), dans l’archipel malais (Tylor, Remarks on Totemism, in J.A.I., nouvelle série, I, p. 147). On remarquera que les cas où l’âme, après la mort, se présente nettement sous forme animale sont empruntés à des sociétés ou le totémisme est plus ou moins entamé. C’est que, là où les croyances totémiques sont relativement pures, l’idée d’âme est forcement ambiguë ; car le totémisme implique qu’elle participe à la fois des deux règnes. Elle ne peut se déterminer dans un sens ou dans l’autre d’une manière exclusive, mais prend tantôt un aspect et tantôt l’autre suivant les circonstances. Plus le totémisme régresse, moins cette ambiguïté devient nécessaire, en même temps que les esprits ressentent un plus vif besoin de distinction. Alors, les affinités si marquées de l’âme pour le règne animal se font sentir, surtout après qu’elle est libérée du corps humain.