Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/382

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

substance que les animaux ou les végétaux de l’espèce totémique.

Aussi l’âme est-elle souvent représentée sous forme animale. On sait que, dans les sociétés inférieures, la mort n’est jamais considérée comme un événement naturel, dû à l’action de causes purement physiques ; on l’attribue généralement aux maléfices de quelque sorcier. Dans un grand nombre de tribus australiennes, pour déterminer quel est l’auteur responsable de ce meurtre, on part de ce principe que, cédant à une sorte de nécessité, l’âme du meurtrier vient inévitablement visiter sa victime. C’est pourquoi on dispose le corps sur un échafaudage ; puis, sous le cadavre et tout autour, on aplanit soigneusement la terre de manière à ce que la moindre marque y devienne aisément perceptible. On revient le lendemain ; si, dans l’intervalle, un animal a passé par là, on en peut facilement reconnaître les traces. Leur forme révèle l’espèce à laquelle il appartient et, de là, on infère le groupe social dont fait partie le coupable. On dit que c’est un homme de telle classe ou de tel clan[1] selon que l’animal est un totem de ce clan ou de cette classe. C’est donc que l’âme est censée être venue sous la figure de l’animal totémique.

Dans d’autres sociétés, où le totémisme est affaibli ou a disparu, l’âme continue cependant à être pensée sous forme animale. Les indigènes du Cap Bedford (Queensland du Nord) croient que l’enfant, au moment où il entre dans le corps de la mère, est un courlis si c’est une fille, un serpent si c’est un garçon. Il ne prend qu’ensuite forme

  1. Chez les Wakelvura où, selon Curr et Howitt, chaque classe matrimoniale a ses totems propres, l’animal dit la classe (v. Curr, III, p. 28) ; chez les Buandik, il révèle le clan (Mrs James S. Smith, The Booandik Tribes of S. Austral. Aborigines, p. 128). Cf. Howitt, On some Austral. Beliefs, in J.A.I., XIII, p. 191 ; XIV, p. 362 ; Thomas, An American View of Totemism, in Man, 1902, n° 85 ; Mathews, Journ. of R. S. of N. S. Wales, XXXVIII, p.347-348 ; Brough Smyth, I, p. 110 ; Spencer et Gillen, North. Tr., p. 513.