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Elle a une efficacité qui lui vient uniquement de ses propriétés psychiques, et c’est précisément à ce signe que se reconnaît l’autorité morale. L’opinion, chose sociale au premier chef, est donc une source d’autorité et l’on peut même se demander si toute autorité n’est pas fille de l’opinion[1]. On objectera que la science est souvent l’antagoniste de l’opinion dont elle combat et rectifie les erreurs. Mais elle ne peut réussir dans cette tâche que si elle a une suffisante autorité et elle ne peut tenir cette autorité que de l’opinion elle-même. Qu’un peuple n’ait pas foi dans la science, et toutes les démonstrations scientifiques seront sans influence sur les esprits. Même aujourd’hui, qu’il arrive à la science de résister à un courant très fort de l’opinion publique, et elle risquera d’y laisser son crédit[2].

Puisque c’est par des voies mentales que la pression sociale s’exerce, elle ne pouvait manquer de donner à l’homme l’idée qu’il existe en dehors de lui une ou plusieurs puissances, morales en même temps qu’efficaces, dont il dépend. Ces puissances, il devait se les représenter, en partie, comme extérieures à lui, puisqu’elles lui parlent

  1. C’est du moins le cas de toute autorité morale reconnue comme telle par une collectivité.
  2. Nous espérons que cette analyse et celles qui suivront mettront un terme à une interprétation inexacte de notre pensée d’où il est résulté plus d’un malentendu. Parce que nous avons fait de la contrainte le signe extérieur auquel les faits sociaux peuvent le plus aisément se reconnaître et se distinguer des faits de psychologie individuelle, on a cru que, pour nous, la contrainte physique était tout l’essentiel de la vie sociale. En réalité, nous n’y avons jamais vu que l’expression matérielle et apparente d’un fait intérieur et profond qui, lui, est tout idéal ; c’est l’autorité morale. Le problème sociologique — si l’on peut dire qu’il y a un problème sociologique — consiste à chercher, à travers les différentes formes de contrainte extérieure, les différentes sortes d’autorité morale qui y correspondent, et à découvrir les causes qui ont déterminé ces dernières. En particulier, la question que nous traitons dans le présent ouvrage a pour principal objet de trouver sous quelle forme cette espèce particulière d’autorité morale qui est inhérente à tout ce qui est religieux a pris naissance et de quoi elle est formée. On verra d’ailleurs plus loin que, si nous faisons de la pression sociale un des caractères distinctifs des phénomènes sociologiques, nous n’entendons pas dire que ce soit le seul. Nous montrerons un autre aspect de la vie collective, presque opposé au précédent, mais non moins réel (v. p. 303).