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totem, dit Miss Fletcher, reposait sur sa conception de la nature et de la vie. Cette conception était complexe et enveloppait deux idées essentielles. La première, c’est que toutes les choses, soit animées, soit inanimées, sont pénétrées par un commun principe de vie ; la seconde, c’est que cette vie est continue[1]. » Or ce commun principe de vie, c’est le wakan. Le totem est le moyen par lequel l’individu est mis en rapports avec cette source d’énergie ; si le totem a des pouvoirs, c’est qu’il incarne du wakan. Si l’homme qui a violé les interdits qui protègent son totem est frappé par la maladie ou par la mort, c’est que la force mystérieuse à laquelle il est ainsi venu se heurter, le wakan, réagit contre lui avec une intensité proportionnelle au choc subi[2]. Inversement, de même que le totem est du wakan, le wakan, à son tour, rappelle parfois, par la manière dont il est conçu, ses origines totémiques. Say dit en effet que, chez les Dakota, le « Wahconda » se manifeste sous les espèces tantôt d’un ours gris, tantôt d’un bison, d’un castor ou de quelque autre animal[3]. Sans doute, la formule ne saurait être acceptée sans réserve. Le wakan répugne à toute personnification et, par conséquent, il est peu probable qu’il ait jamais été pensé dans sa généralité abstraite à l’aide de symboles aussi définis. Mais la remarque de Say s’applique vraisemblablement aux formes particulières qu’il prend en se spécialisant dans la réalité concrète de la vie. Or, si vraiment il y eut un temps où ces spécialisations du wakan témoignaient d’une affinité aussi marquée pour la forme animale, ce serait une preuve de plus des liens étroits qui unissent cette notion aux croyances totémiques[4]

  1. Fletcher, op. cit., p. 578-579.
  2. Ibid., p. 583. Chez les Dakota, le totem est appelé Wakan. V. Riggs et Dorsey, Dakota Grammar, Texts a. Ethnog., in Contributions N. Amer. Ethn., 1893, p. 219.
  3. James’s Account of Long’s Exped. Rocky Mountains, I, p. 268 (cité par Dorsey, XIth Rep., p. 431, § 92).
  4. Nous n’entendons pas soutenir qu’en principe toute représentation thériomorphique des forces religieuses soit l’indice d’un totémisme préexistant. Mais quand il s’agit, comme c’est le cas des Dakota, de sociétés où le totémisme est encore apparent, il est naturel de penser qu’il n’est pas étranger à ces conceptions.