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en profiter soi-même, soit pour en faire profiter autrui[1]. » N’est-ce pas la notion même de force anonyme et diffuse dont nous découvrions tout à l’heure le germe dans le totémisme australien ? C’est la même impersonnalité ; car, dit Codrington, il faut se garder d’y voir une sorte d’être suprême ; une telle idée « est absolument étrangère » à la pensée mélanésienne. C’est la même ubiquité : le mana n’est situé nulle part d’une manière définie et il est partout. Toutes les formes de la vie, toutes les efficacités de l’action soit des hommes soit des êtres vivants soit des simples minéraux sont attribuées à son influence[2].

Il n’y a donc aucune témérité à prêter aux sociétés australiennes une idée comme celle que nous avons dégagée de l’analyse des croyances totémiques, puisque nous la retrouvons, mais portée à un plus haut degré d’abstraction et de généralité, à la base de religions qui plongent par leurs racines dans le système australien et qui en portent visiblement la marque. Les deux conceptions sont manifestement parentes ; elles ne diffèrent qu’en degrés. Tandis que le mana est diffus dans tout l’univers, ce que nous avons appelé le dieu, ou pour parler plus exactement, le principe totémique, est localisé dans un cercle, très étendu sans doute, mais cependant plus limité, d’êtres et de choses d’espèces différentes. C’est du mana, mais un peu plus spécialisé, bien que cette spécialisation ne soit, en somme, que très relative.

Il y a d’ailleurs le cas où ce rapport de parenté est rendu tout particulièrement apparent. Chez les Omaha, il existe des totems de toutes sortes, individuels et collectifs[3] ; or les uns et les autres ne sont que des formes particulières du wakan. « La foi de l’Indien dans l’efficacité du

  1. The Melanesians, p. 118, n. 1. Parkinson, Dressig Jahre in der Südsee, p. 178, 392, 394, etc.
  2. On trouvera une analyse de cette notion dans Hubert et Mauss, Théorie générale de la Magie, in Année sociol., VII, p. 108.
  3. Il y a non seulement des totems de clans, mais aussi de confréries (A. Fletcher, Smiths. Rep., 1897, p. 581 et suiv.).