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assez haut degré de culture. Comment une mythologie aussi éloignée des origines permettrait-elle de reconstituer, avec quelque assurance, la forme primitive d’une institution ? Il y a bien des chances pour que des causes intercurrentes aient gravement défiguré le souvenir que les hommes en avaient pu conserver. D’ailleurs, à ces mythes, il est trop facile d’en opposer d’autres qui semblent bien être plus primitifs et dont la signification est toute différente. Le totem y est représenté comme l’être même de qui le clan est descendu. C’est donc qu’il constitue la substance du clan ; les individus le portent en eux-mêmes dès leur naissance ; il fait partie de leur chair et de leur sang, bien loin qu’ils l’aient reçu du dehors[1]. Il y a plus : les mythes sur lesquels s’appuie Hill Tout contiennent eux-mêmes un écho de cette ancienne conception. Le fondateur éponyme du clan y a bien une figure d’homme ; mais c’est un homme qui, après avoir vécu au milieu d’animaux d’une espèce déterminée, aurait fini par leur ressembler. C’est sans doute qu’un moment vint ou les esprits furent trop cultivés pour continuer à admettre, comme par le passé, que des hommes pussent naître d’un animal ; ils remplacèrent donc l’animal ancêtre, devenu représentable, par un être humain ; mais ils imaginèrent que cet homme avait acquis par imitation ou par d’autres procédés, certains caractères de l’animalité. Ainsi, même cette mythologie tardive porte la marque d’une époque plus lointaine où le totem du clan n’était nullement conçu comme une sorte de création individuelle.

Mais cette hypothèse ne soulève pas seulement de graves difficultés logiques ; elle est directement contredite par les faits qui suivent.

Si le totémisme individuel était le fait initial, il devrait être d’autant plus développé et d’autant plus apparent que les sociétés elles-mêmes sont plus primitives ; inverse-

  1. Cf. Hartland, Totemism and some Recent Discoveries, Folk-lore, XI, p. 59 et suiv.