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Chez ces différents peuples tous les hommes de la tribu, d’une part, toutes les femmes, de l’autre, à quelque clan particulier que les uns et les autres appartiennent, forment comme deux sociétés distinctes et même antagonistes. Or, chacune de ces deux corporations sexuelles se croit unie par des liens mystiques à un animal déterminé. Chez les Kurnai, tous les hommes se considèrent comme les frères de l’émou-roitelet (Yeerùng), toutes les femmes comme les sœurs de la superbe fauvette (Djeetgùn) ; tous les hommes sont Yeerùng et toutes les femmes Djeetgùn. Chez les Wotjobaluk, les Wurunjerri, c’est la chauve-souris et le nightjar (sorte de chouette) qui jouent respectivement ce rôle. Dans d’autres tribus, le pic est substitué au nightjar. Chaque sexe voit dans l’animal auquel il est ainsi apparenté un protecteur qu’il convient de traiter avec les plus grands égards : aussi est-il interdit de le tuer et de le manger[1].

Ainsi, cet animal protecteur joue, par rapport à chaque société sexuelle, le même rôle que le totem du clan par rapport à ce dernier groupe. L’expression de totémisme sexuel, que nous empruntons à Frazer[2], est donc justifiée. Ce totem d’un nouveau genre ressemble même particulièrement à celui du clan en ce sens qu’il est, lui aussi, collectif ; il appartient indistinctement à tous les individus d’un même sexe. Il y ressemble également en ce qu’il implique entre l’animal-patron et le sexe correspondant un rapport de descendance et de consanguinité : chez les Kurnai, tous les hommes sont censés être descendus de Yeerùng et

  1. On cite même un cas où chaque groupe sexuel aurait deux totems sexuels ; ainsi les Wurunjerri cumuleraient les totems sexuels des Kurnai (émou-roitelet et superbe fauvette] avec ceux des Wotjobaluk (chauve souris et hulotte nightjar). V. Howitt, Nat. Tr., p. 150.
  2. Totemism, p. 51.