Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/240

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cal ; il s’abstient de toute nourriture, il avale les drogues les plus énergiques et les plus répugnantes : à l’occasion, il boit des décoctions intoxicantes jusqu’à ce que son esprit soit dans un véritable état d’égarement. À ce moment, il a ou croit avoir des visions, des rêves extraordinaires auxquels tout cet entraînement l’a naturellement prédisposé. Il s’imagine voler à travers les airs, cheminer sous le sol, sauter d’un sommet à l’autre par-dessus les vallées, combattre et dompter des géants et des monstres[1]. » Dans ces conditions, qu’il voie ou, ce qui revient au même, qu’il croie voir, en rêve ou à l’état de veille, un animal se présenter à lui dans une attitude qui lui paraît démonstrative d’intentions amicales, il s’imaginera avoir découvert le patron qu’il attendait[2].

Cependant, cette procédure est rarement employée en Australie[3]. Sur ce continent, le totem personnel paraît plutôt être imposé par un tiers soit à la naissance[4], soit au moment de l’initiation[5]. C’est généralement un parent qui joue ce rôle, ou un personnage investi de pouvoirs spéciaux, tel qu’un vieillard ou un magicien. On se sert

  1. Heckewelder, An Account of the History, Manners and Customs of the Indian Nations who once inhabited Pennsylvania, in Transactions of the Historical and Literary Committee of the American Philos. Society, I, p. 238.
  2. V. Dorsey, Siouan Cults, XIth Rep., p. 507 ; Catlin, op. cit., l, p. 37 ; Miss Fletcher, The Import of the Totem, in Smithsonian Rep. f., 1897, p. 580 ; Teit, The Thompson Indians, p. 317-320 ; Hill Tout, J.A.I., XXXV, p. 144.
  3. On en rencontre pourtant quelques exemples. C’est en rêve que les magiciens Kurnai voient leurs totems personnels se révéler à eux (Howitt, Nat. Tr., p. 387 ; On Australian Medicine Men, in J.A.I., XVI, p. 34). Les gens du cap Bedfort croient que, quand un vieillard rêve d’une chose au cours de la nuit, cette chose est le totem personnel de la première personne qu’il rencontrera le lendemain (W. E. Roth, Superstition, Magic a. Medicine, p. 19). Mais il est probable que l’on n’obtient par cette méthode que des totems personnels complémentaires et accessoires : car, dans cette même tribu, un autre procédé est employé au moment de l’initiation, comme nous le disons dans le texte.
  4. Dans certaines tribus dont parle Roth (ibid.) ; dans certaines tribus voisines de Maryborough (Howitt, Nat. Tr., p. 147).
  5. Chez les Wiradjuri (Howitt, Nat. Tr., p. 406 ; on Australian Medicine Men, in J.A.I., XVI, p. 50).