Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tatouaient l’image sur le corps[1]. On le représente sur les armes[2]. Dans les tribus du Nord-Ouest, l’emblème individuel est gravé ou sculpté, tout comme l’emblème collectif du clan, sur les ustensiles, sur les maisons[3], etc. ; le premier sert de marque de propriété personnelle[4]. Souvent, les deux blasons sont combinés ensemble ; c’est ce qui explique, en partie, la grande diversité d’aspects que présentent, chez ces peuples, les écussons totémiques[5].

Entre l’individu et son animal éponyme existent les liens les plus étroits. L’homme participe de la nature de l’animal ; il en a les qualités, comme, d’ailleurs, les défauts. Par exemple, quelqu’un qui a l’aigle pour blason individuel est censé posséder le don de voir dans l’avenir ; s’il porte le nom de l’ours, on dit qu’il est exposé à être blessé dans les combats, parce que l’ours est lent et lourd et qu’il se laisse facilement attraper[6] ; si l’animal est méprisé, l’homme est l’objet du même mépris[7]. La parenté des deux êtres est même telle que, dans certaines circonstances, notamment en cas de danger, l’homme, croit-on, peut prendre la forme de l’animal[8]. Inversement, l’animal est considéré comme un double de l’homme, comme son alter ego[9]. L’association entre eux est si étroite que leurs destinées sont souvent considérées comme solidaires : rien ne peut atteindre l’un sans que l’autre n’en ressente le

  1. Charlevoix, op. cit., VI, p. 69.
  2. Dorsey, Siouan Cults, XIth Rep., p. 443.
  3. Boas, Kwakiutl, p. 323.
  4. Hill Tout, loc. cit., p. 154.
  5. Boas, Kwakiutl, p. 323.
  6. Miss Fletcher, The Import of the Totem, à Study from the Omaha Tribe (Smithsonian Rep. for 1897, p. 583). — On trouvera des faits similaires dans Teit, op. cit., p. 354, 356 ; Peter Jones, History of the Ojibway Indians, p. 87.
  7. C’est le cas, par exemple, du chien chez les Salish Statlumh à cause de l’état de servitude où il vit (Hill Tout, loc. cit., p. 153).
  8. S. Langloh Parker, Euahlayi, p. 21.
  9. « L’esprit d’un homme, dit Mrs Parker (ibid.), est dans son Yunbeai (totem individuel) et son Yunbeai est en lui. »