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religion à laquelle on est étranger ; ils partagent eux-mêmes ces croyances. Les gens du Corbeau sont, eux aussi, convaincus que les gens du Serpent ont un serpent mythique pour ancêtre et doivent à cette origine des vertus spéciales et des pouvoirs merveilleux. N’avons-nous pas vu que, dans de certaines conditions tout au moins, un homme ne peut manger d’un totem qui n’est pas le sien qu’après avoir observé des formalités rituelles ? Notamment, il en demande l’autorisation aux individus de ce totem s’il en est qui sont présents. C’est donc que, pour lui aussi, cet aliment n’est pas purement profane ; lui aussi admet qu’entre les membres d’un clan dont il ne fait pas partie et l’animal dont ils portent le nom il existe d’intimes affinités. D’ailleurs, cette communauté de croyances se manifeste parfois dans le culte. Si, en principe, les rites qui concernent un totem ne peuvent être accomplis que par les gens de ce totem, il est cependant très fréquent que des représentants de clans différents y assistent. Il arrive même que leur rôle n’est pas celui de simples spectateurs ; sans doute, ce ne sont pas eux qui officient, mais ils décorent les officiants et préparent le service. Ils sont eux-mêmes intéressés à ce qu’il soit célébré ; c’est pourquoi, dans certaines tribus, ce sont eux qui invitent le clan qualifié à procéder à cette célébration[1]. Il y a même tout un cycle de rites qui se déroule obligatoirement en présence de la tribu assemblée : ce sont les cérémonies totémiques de l’initiation[2].

Au reste, l’organisation totémique, telle que nous venons de la décrire, doit manifestement résulter d’une sorte d’entente entre tous les membres de la tribu indistinctement. Il est impossible que chaque clan se soit fait ses croyances d’une manière absolument indépendante ; mais il faut, de toute nécessité, que les cultes des différents totems aient été,

  1. C’est le cas notamment chez les Warramunga (North. Tr., p. 298).
  2. V. par exemple, Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 380 et passim.