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cas, on doit à ces derniers des égards tout particuliers[1]. Les sentiments que les uns et les autres inspirent sont identiques[2].

Mais ce qui montre mieux encore que toutes les choses ainsi rattachées à un totem ne sont pas d’une autre nature que celui-ci et, par conséquent, qu’elles ont un caractère religieux, c’est qu’à l’occasion elles jouent le même rôle. Ce sont des totems accessoires, secondaires, ou, suivant une expression qui est aujourd’hui consacrée par l’usage, des sous-totems[3]. Il arrive sans cesse que, dans un clan, il se forme, sous l’influence de sympathies, d’affinités particulières, des groupes plus restreints, des associations plus limitées qui tendent à vivre d’une vie relativement autonome, et à former comme une subdivision nouvelle, comme un sous-clan à l’intérieur du premier. Ce sous-clan, pour se distinguer et s’individualiser, a besoin d’un totem parti-

  1. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 449.
  2. Il y a cependant certaines tribus du Queensland où les choses ainsi affectées à un groupe social ne sont pas interdites aux membres de ce groupe : telle est notamment celle des Wakelhura. On se rappelle que, dans cette société, ce sont les classes matrimoniales qui servent de cadres à la classification (v. plus haut, p. 204). Or, non seulement les gens d’une classe peuvent manger des animaux attribués à cette classe, mais ils ne peuvent en manger d’autres. « Toute autre alimentation leur est interdite (Howitt, Nat. Tr., p. 113 ; (Curr, III, p. 27).
    Il faut pourtant se garder d’en conclure que ces animaux soient considérés comme profanes. On remarquera, en effet, que l’individu n’a pas simplement la faculté d’en manger, mais qu’il y est obligatoirement tenu, puisqu’il lui est défendu de s’alimenter autrement. Or ce caractère impératif de la prescription est le signe certain que nous sommes en présence de choses qui ont une nature religieuse. Seulement, la religiosité dont elles sont marquées a donné naissance à une obligation positive, et non à cette obligation négative qu’est un interdit. Peut-être même n’est-il pas impossible d’apercevoir comment a pu se faire cette déviation. Nous avons vu plus haut (v. p. 198) que tout individu est censé avoir une sorte de droit de propriété sur son totem et, par suite, sur les choses qui en dépendent. Que, sous l’influence de circonstances spéciales, cet aspect de la relation totémique se soit développé, et l’on en sera venu tout naturellement à croire que les membres d’un clan pouvaient seuls disposer de leur totem et de tout ce qui lui est assimilé ; que les autres, au contraire, n’avaient pas le droit d’y toucher. Dans ces conditions, un clan ne pouvait se nourrir que des choses qui lui étaient affectées.
  3. Mrs Parker se sert de l’expression de multiplex totems.