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traces visibles de classification, des mots différents, il est vrai, désignent le totem et les êtres qui y sont rattachés ; pourtant, le nom qu’on donne à ces derniers témoigne des étroits rapports qui les unissent à l’animal totémique. On dit qu’ils sont ses intimes, ses associés, ses amis ; on croit qu’ils en sont inséparables[1]. On a donc le sentiment que ce sont des choses très proches parentes.

Mais d’un autre côté, nous savons que l’animal totémique est un être sacré. Toutes les choses qui sont rangées dans le clan dont il est l’emblème ont donc le même caractère, puisqu’elles sont, en un sens, des animaux de la même espèce, tout comme l’homme. Elles sont, elles aussi, sacrées, et les classifications qui les situent par rapport aux autres choses de l’univers leur assignent du même coup une place dans l’ensemble du système religieux. C’est pourquoi celles d’entre elles qui sont des animaux ou des plantes ne peuvent pas être librement consommées par les membres humains du clan. Ainsi, dans la tribu du Mont-Gambier, les gens qui ont pour totem un serpent sans venin ne doivent pas seulement s’abstenir de la chair de ce serpent ; celle des phoques, des anguilles, etc., leur est également interdites[2]. Si, poussés par la nécessité, ils se laissent aller à en manger, ils doivent tout au moins atténuer le sacrilège par des rites expiatoires, comme s’il s’agissait de totems proprement dits[3]. Chez les Euahlayi[4] où il est permis d’user du totem, mais non d’en abuser, la même règle s’applique aux autres choses du clan. Chez les Arunta, l’interdiction qui protège l’animal totémique s’étend jusqu’aux animaux associés[5] ; et, en tout

  1. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 447 et suiv. ; Strehlow, III, p. xii et suiv.
  2. Fison et Howitt, Kamilaroi and Kurnai, p. 169.
  3. Curr, III, p. 462.
  4. Mrs Marker, The Euahlayi Tribe, p. 20.
  5. Spencer et Gillen, North. Tr., p. 151 ; Nat. Tr., p. 447 ; Strehlow, III, p. xii.