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être dichotomiques. Or, quand une classification se réduit à deux genres, ceux-ci sont presque nécessairement conçus sous la forme antithétique : on s’en sert avant tout comme d’un moyen pour séparer nettement les choses entre lesquelles le contraste est le plus marqué. On met les unes à droite, les autres à gauche. Tel est, en effet, le caractère des classifications australiennes. Si le kakatoès blanc est classé dans une phratrie, le kakatoès noir est dans l’autre ; si le Soleil est d’un côté, la Lune et les astres de la nuit sont du côté opposé[1]. Très souvent, les êtres qui servent de totems aux deux phratries ont des couleurs contraires[2]. On retrouve de ces oppositions même en dehors de l’Australie. Là ou l’une des phratries est préposée à la paix, l’autre est préposée à la guerre[3] ; si l’une a l’eau pour totem, l’autre a pour totem la terre[4]. C’est là, sans doute, ce qui explique que les deux phratries aient été souvent conçues comme naturellement antagonistes l’une de l’autre. On admet qu’il y a entre elles une sorte de rivalité et même d’hostilité constitutionnelle[5]. L’opposi-

  1. V. plus haut, p. 202. Il en est ainsi chez les Gourditch-mara (Howitt, Nat. Tr., p. 12/1), dans les tribus observées par Cameron près de Mortlake et chez les Wotjobaluk (Howitt, Nat. Tr., p. 125, 250).
  2. J. Mathew, Two Repres. Tribes, p. 139 ; Thomas, Kinship a. Marriage, etc., p. 53-54.
  3. Par exemple chez les Osage (v. Dorsey, Siouan Sociology, in XVth Rep., p. 233 et suiv.).
  4. À Mabuiag, île du détroit de Torrès (Haddon, Head Hunters, p. 132). On trouve d’ailleurs la même opposition entre les deux phratries des Arunta : l’une comprend les gens de l’eau, l’autre les gens de la terre (Strehlow, l, p. 6).
  5. Chez les Iroquois, il y a des sortes de tournois, entre les deux phratries (Morgan, Ancient Society, p. 94). Chez les Haida, dit Swanton, les membres des deux phratries de l’Aigle et du Corbeau « sont souvent considérés comme des ennemis avérés. Maris et femmes (qui sont obligatoirement de phratries différentes) n’hésitent pas à se trahir mutuellement » (The Haida, p. 62). En Australie, cette hostilité se traduit dans les mythes. Les deux animaux qui servent de totems aux deux phratries sont souvent présentés comme perpétuellement en guerre l’un contre l’autre (v. J. Mathew, Eaglekawk and Crow, à Study of Australian Aborigines, p. 14 et suiv.). Dans les jeux, chaque phratrie est l’émule naturelle de l’autre (Howitt, Nat. Tr., p. 770).