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cas, elle ne s’applique pas au totémisme. Chaque membre du clan est investi d’un caractère sacré qui n’est pas sensiblement inférieur à celui que nous venons de reconnaître à l’animal. La raison de cette sainteté personnelle, c’est que l’homme croit être, en même temps qu’un homme au sens usuel du mot, un animal ou une plante de l’espèce totémique.

En effet, il en porte le nom ; or l’identité du nom passe alors pour impliquer une identité de nature. La première n’est pas simplement considérée comme l’indice extérieur de la seconde ; elle la suppose logiquement. Car le nom, pour le primitif, n’est pas seulement un mot, une combinaison de sons ; c’est quelque chose de l’être, et même quelque chose d’essentiel. Un membre du clan du Kangourou s’appelle lui-même un kangourou ; il est donc, en un sens, un animal de cette même espèce. « Un homme, disent Spencer et Gillen, regarde l’être qui lui sert de totem comme étant la même chose que lui-même. Un indigène, avec qui nous discutions la question, nous répondit en nous montrant une photographie que nous venions de prendre de lui : « Voilà qui est exactement la même chose que moi. Eh bien ! il en est de même du kangourou. » Le kangourou était son totem[1]. Chaque individu a donc une double nature : en lui coexistent deux êtres, un homme et un animal.

Pour donner un semblant d’intelligibilité à cette dualité, si étrange pour nous, le primitif a conçu des mythes qui, sans doute, n’expliquent rien et ne font que déplacer la difficulté, mais qui, en la déplaçant, paraissent du moins en atténuer le scandale logique. Avec des variantes dans le détail, ils sont tous construits sur le même plan : ils ont pour objet d’établir entre l’homme et l’animal totémique des rapports généalogiques qui fassent du premier le par-

    vieille que la pensée religieuse. Mais la place de l’homme dans la hiérarchie des choses sacrées est plus ou moins élevée.

  1. Nat. Tr., p. 202.