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tance des interdictions qui isolent une chose sacrée et la retirent de la circulation correspondent au degré de sainteté dont elle est investie, on arrive à ce remarquable résultat que les images de l’être totémique sont plus sacrées que l’être totémique lui-même. Au reste, dans les cérémonies du culte, c’est le churinga, c’est le nurtunja qui tiennent la première place ; l’animal n’y apparaît que très exceptionnellement. Dans un rite, dont nous aurons à parler[1], il sert de matière à un repas religieux, mais il ne joue pas de rôle actif. Les Arunta dansent autour du nurtunja, ils s’assemblent devant l’image de leur totem et ils l’adorent ; jamais semblable démonstration ne s’adresse à l’être totémique lui-même. Si ce dernier était la chose sainte par excellence, c’est avec lui, c’est avec la plante ou l’animal sacré que le jeune initié devrait communier quand il est introduit dans le cercle de la vie religieuse ; nous avons vu, au contraire, que le moment le plus solennel de l’initiation est celui ou le novice pénètre dans le sanctuaire des churinga. C’est avec eux, c’est avec le nurtunja qu’il communie. Les représentations du totem ont donc une efficacité plus active que le totem lui-même.

II

Il nous faut maintenant déterminer la place de l’homme dans le système des choses religieuses.

Nous sommes enclins, par tout un ensemble d’habitudes acquises et par la force même du langage, à concevoir l’homme du commun, le simple fidèle comme un être essentiellement profane. Il pourrait bien se faire que cette conception ne fût vraie à la lettre d’aucune religion[2] ; en tout

  1. V. liv. II, chap. II, § II.
  2. Il n’y a peut-être pas de religion qui fasse de l’homme un être exclusivement profane. Pour le chrétien, l’âme que chacun de nous porte en soi, et qui constitue l’essence même de notre personnalité, a quelque chose de sacré. Nous verrons que cette conception de l’âme est aussi