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l’ancêtre ou comme ce corps lui-même[1]. Ce seraient donc encore les sentiments inspirés par l’ancêtre qui se reporteraient sur l’objet matériel et qui en feraient une sorte de fétiche. Mais d’abord, l’une et l’autre conception, — qui, d’ailleurs, ne diffèrent guère que dans la lettre du mythe — ont été manifestement forgées après coup pour rendre intelligible le caractère sacré attribué aux churinga. Dans la constitution de ces pièces de bois et de ces morceaux de pierre, dans leur aspect extérieur, il n’y a rien qui les prédestine à être considérés comme le siège d’une âme d’ancêtre ou comme l’image de son corps. Si donc les hommes ont imaginé ce mythe, c’est pour pouvoir s’expliquer à eux-mêmes le respect religieux que leur inspiraient ces choses, bien loin que ce respect fût déterminé par le mythe. Cette explication, comme tant d’explications mythiques, ne résout la question que par la question même, répétée en des termes légèrement différents ; car dire que le churinga est sacré et dire qu’il contient tel ou tel rapport avec un être sacré, c’est énoncer de deux façons le même fait ; ce n’est pas en rendre compte. D’ailleurs, de l’aveu de Spencer et Gillen, il y a, même chez les Arunta, des churinga qui sont fabriqués, au su et au vu de tout le monde, par les anciens du groupe[2] ; ceux-là ne viennent évidemment pas des grands ancêtres. Ils ont pourtant, à des différences de degrés près, la même efficacité que les autres et ils sont conservés de la même manière. Enfin, il y a des tribus tout entières ou le churinga n’est

  1. Strehlow, I, Vorworet, in fine ; II, p. 76, 77 et 82. Pour les Arunta, c’est le corps même de l’ancêtre ; pour les Loritja, c’en est seulement une image.
  2. Quand un enfant vient de naître, la mère indique au père où elle croit que l’âme de l’ancêtre a pénétré en elle. Le père, accompagné de quelques parents, se rend à cet endroit et l’on y cherche le churinga que l’ancêtre, croit-on, a laissé tomber au moment où il s’est réincarné. Si l’on y trouve, c’est, sans doute, que quelque ancien du groupe totémique l’y a placé (l’hypothèse est de Spencer et Gillen). Si on ne le découvre pas, on fait un churinga nouveau suivant une technique déterminée (Nat. Tr., p. 132. Cf. Strehlow, II, p. 80).