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sont conservés est placé sous le contrôle du chef du groupe. Sans doute, chaque individu a, sur certains d’entre eux, des droits spéciaux[1] ; cependant, bien qu’il en soit, dans une certaine mesure, le propriétaire, il ne peut s’en servir qu’avec le consentement et sous la direction du chef. C’est un trésor collectif ; c’est l’arche sainte du clan[2]. La dévotion dont ils sont l’objet montre, d’ailleurs, le haut prix qui y est attaché. On ne les manie qu’avec un respect que traduit la solennité des gestes[3]. On les soigne, on les graisse, on les frotte, on les polit, et, quand on les transporte d’une localité dans l’autre, c’est au milieu de cérémonies qui témoignent qu’on voit dans ce déplacement un acte de la plus haute importance[4]

Or, en eux-mêmes, les churinga sont des objets de bois et de pierre comme tant d’autres ; ils ne se distinguent des choses profanes du même genre que par une particularité : c’est que, sur eux, est gravée ou dessinée la marque totémique. C’est donc cette marque et elle seule qui leur confère le caractère sacré. Il est vrai que, suivant Spencer et Gillen, le churinga servirait de résidence à une âme d’ancêtre et ce serait la présidence de cette âme qui lui conférerait ses propriétés[5]. De son côté, Strehlow, tout en déclarant cette interprétation inexacte, en propose une autre qui ne diffère pas sensiblement de la précédente : le churinga serait considéré comme une image du corps de

  1. Chaque individu est uni par un lien particulier d’abord à un churinga spécial qui lui sert de gage à vie, puis à ceux qu’il a reçus de ses parents par voie d’héritage.
  2. Nat. Tr., p. 154 ; North Tr., p. 193. Les churinga ont si bien une marque collective qu’ils remplacent les bâtons des messagers dont sont munis, dans d’autres tribus, les individus envoyés à des groupes étrangers pour les convoquer à quelque cérémonie. (Nat. Tr., p. 141-142).
  3. Ibid., p. 326. Il y a lieu de remarquer que les bull-roarers sont employés de la même manière (Mathews, Aboriginal Tribes of N. S. Wales and Victoria, in Journal of Roy. Soc. of N. S. Wales, XXXVIII, p. 307-308.
  4. Nat. Tr., p. 161, 250 et suiv.
  5. Ibid., p. 138.