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symbole totémique[1]. Il est vrai que, chez les Arunta, le dessin ainsi tracé ne représente pas toujours et nécessairement le totem de l’initié[2] ; mais c’est une exception, due sans doute à l’état de perturbation où se trouve l’organisation totémique de cette tribu[3]. Au reste, même chez les Arunta, au moment le plus solennel de l’initiation, puis-

  1. C’est le cas, par exemple, chez les Warramunga, les Walpari, les Wulmala, les Tjingilli, les Umbaia, les Unmatjera (North. Tr., p. 348, 339). Chez les Warramunga, au moment où le dessin est exécuté, les opérateurs adressent à l’initié les paroles suivantes : «  Cette marque appartient à votre localité (your place) : ne portez pas les yeux sur une autre localité. » « Ce langage signifie, disent Spencer et Gillen, que le jeune homme ne doit pas s’ingérer dans d’autres cérémonies que celles qui concernent son totem ; elles témoignent également de l’étroite association qui est supposée exister entre un homme, son totem et l’endroit spécialement consacré à ce totem » (North. Tr., p. 584). Chez les Warramunga, le totem se transmet du père aux enfants ; par suite, chaque localité a le sien.
  2. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 215, 241, 376.
  3. On se rappelle (v. plus haut, p. 150) que, dans cette tribu, l’enfant peut avoir un autre totem que celui de son père ou de sa mère et, plus généralement, de ses proches. Or les proches, d’un côté ou de l’autre, sont les opérateurs désignés pour les cérémonies de l’initiation. Par conséquent, comme un homme, en principe, n’a qualité d’opérateur ou d’officiant que pour les cérémonies de son totem, il s’ensuit que, dans certains cas, les rites auxquels l’enfant est initié concernent forcément un totem autre que le sien. Voilà comment les peintures exécutées sur le corps du novice ne représentent pas nécessairement le totem de ce dernier : on trouvera des cas de ce genre dans Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 229. Ce qui montre bien, d’ailleurs, qu’il y a là une anomalie, c’est que, néanmoins, les cérémonies de la circoncision ressortissent essentiellement au totem qui prédomine dans le groupe local de l’initié, c’est-à-dire au totem qui serait celui de l’initié lui-même, si l’organisation totémique n’était pas perturbée, si elle était chez les Arunta ce qu’elle est chez les Wairamunga (v. Spencer et Gillen, ibid., p. 219).
    La même perturbation a eu une autre conséquence. D’une manière générale, elle a pour effet de détendre quelque peu les liens qui unissent chaque totem a un groupe déterminé, puisqu’un même totem peut compter des membres dans tous les groupes locaux possibles, et même dans les deux phratries indistinctement. L’idée que les cérémonies d’un totem pouvaient être célébrées par un individu d’un totem différent — idée qui est contraire aux principes mêmes du totémisme, comme nous le verrons mieux encore dans la suite — a pu s’établir ainsi sans soulever trop de résistances. On a admis qu’un homme à qui un esprit révélait la formule d’une cérémonie avait qualité pour la présider, alors même qu’il n’était pas du totem intéressé (Nat. Tr., p. 519). Mais ce qui prouve que c’est là une exception à la règle et le produit d’une sorte de tolérance, c’est que le bénéficiaire de la formule ainsi révélée n’en a pas la libre disposition ; s’il la transmet — et ces transmissions sont fréquentes — ce ne peut être qu’à un membre du totem auquel se rapporte le rite (Nat. Tr., ibid.).