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dans le clan de la pluie et de l’eau ; or, suivant la tradition, cette opération aurait pour but de rendre les physionomies semblables à certains nuages noirs, avec des bords clairs, qui passent pour annoncer l’arrivée prochaine de la pluie et qui, pour cette raison, sont considérés comme des choses de la même famille[1]. C’est la preuve que l’indigène lui-même a conscience que ces déformations ont pour objet de lui donner, au moins conventionnellement, l’aspect de son totem. Chez ces mêmes Arunta, au cours des rites de la subincision, des entailles déterminées sont pratiquées sur les sœurs et sur la future femme du novice ; il en résulte des cicatrices dont la forme est également représentée sur un objet sacré, dont nous parlerons tout à l’heure, et qui est appelé le churinga ; or nous verrons que les lignes ainsi dessinées sur les churinga sont emblématiques du totem[2]. Chez les Kaitish, l’euro est considéré comme étroitement parent de la pluie[3] ; les gens du clan de la pluie portent sur les oreilles de petits pendants faits de dents d’euro[4]. Chez les Yerkla, pendant l’initiation, on inflige au jeune homme un certain nombre de balafres qui laissent des cicatrices : le nombre et la forme de ces cicatrices varient suivant les totems[5]. Un des informateurs de Fison signale le même fait dans les tribus qu’il a observées[6]. D’après Howitt, une relation du même genre existerait, chez les Dieri, entre certaines scarifications et le totem de l’eau[7]. Quant aux Indiens du Nord-Ouest, l’usage de se tatouer le totem est, chez eux, d’une grande généralité[8].

  1. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 451.
  2. Spencer et Gillen, ibid., p. 257.
  3. On verra plus loin (I. I, chap. IV), ce que signifient ces rapports de parenté.
  4. Spencer et Gillen, North. Tr., p. 296.
  5. Howitt, Nat. Tr., p. 744-746 ; cf. p. 129.
  6. Kamiloaroi and Kurnai, p. 66, note. Le fait est, il est vrai, contesté par d’autres informateurs.
  7. Howitt, Nat. Tr., p. 744.
  8. Swanton, Contributions to the Ethnology of the Haida, p. 41 et suiv. Pl. XX et XXI ; Boas, The Social Organization of the Kwakiutl, p. 318 ; Swanton, Tlingit, pl. XVI et sq. — Dans un cas, étranger d’ailleurs aux deux régions ethnographiques que nous étudions plus spécialement, ces tatouages sont pratiqués sur les animaux qui appartiennent au clan. Les Bechuana du sud de l’Afrique sont divisés en un certain nombre de clans : il y a les gens du crocodile, du buffle, du singe, etc. Or, les gens du crocodile, par exemple, font aux oreilles de leurs bestiaux, une incision, qui rappelle par sa forme la gueule de l’animal (Casalis, Les Basoutos, p. 221). Suivant Robertson Smith, le même usage aurait existé chez les anciens Arabes (Kinship and Marriage in early Arabia, p. 212-214).