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d’objet. Le fait paraît assez rare en Australie[1] ; Howitt n’en cite qu’un seul exemple[2]. Cependant, il pourrait bien se faire qu’il se rencontrât avec une certaine fréquence dans les tribus où les groupes totémiques se sont subdivisés avec excès ; on dirait que les totems eux-mêmes ont dû se fragmenter pour pouvoir fournir des noms à ces multiples divisions. C’est ce qui paraît s’être produit chez les Arunta et les Loritja. Strehlow a relevé dans ces deux sociétés jusqu’à 442 totems dont plusieurs désignent non une espèce animale, mais un organe particulier des animaux de cette espèce, par exemple, la queue, l’estomac de l’opossum, la graisse du kangourou, etc.[3].

Nous avons vu que, normalement, le totem n’est pas un individu, mais une espèce ou une variété : ce n’est pas tel kangourou, tel corbeau, mais le kangourou ou l’émou en général. Parfois, cependant, c’est un objet particulier. Tout d’abord, c’est forcément le cas toutes les fois où c’est une chose unique en son genre qui sert de totem, comme le Soleil, la Lune, telle constellation, etc. Mais il arrive aussi que des clans tirent leur nom de tel pli ou de telle dépression de terrain, géographiquement déterminés, de telle fourmilière, etc. Nous n’en connaissons, il est vrai, qu’un petit nombre d’exemples en Australie ; Strehlow en cite pourtant quelques-uns[4]. Mais les causes mêmes qui ont donné naissance à ces totems anormaux démontrent qu’ils sont d’une origine relativement récente. En effet, ce qui a fait ériger en totems certains emplacements, c’est qu’un ancêtre mythique passe pour s’y être arrêté ou y avoir accompli

  1. Frazer (Totemism, p. 10 et 13) en cite des cas assez nombreux et en fait même un genre à part qu’il appelle split-totems. Mais ces exemples sont empruntés à des tribus où le totémisme est profondément altéré, comme à Samoa ou dans les tribus du Bengale.
  2. Howitt, Nat. Tr., p. 107.
  3. V. les tableaux relevés par Strehlow, Die Aranda- and Loritja-Stämme, II, p. 61-72 (cf. III, p. xiii-xvii). Il est remarquable que ces totems fragmentaires soient exclusivement des totems animaux.
  4. Strehlow, II, p. 52 et 72.