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leur donnait pas ce qu’ils en attendaient. Il faudrait donc, cette fois encore, en revenir aux explications simplistes du xviiie siècle[1].

Ainsi, c’est seulement en apparence que le naturisme échappe à l’objection que nous adressions naguère à l’animisme. Lui aussi fait de la religion un système d’images hallucinatoires puisqu’il la réduit à n’être qu’une immense métaphore sans valeur objective. Il lui assigne, sans doute, un point de départ dans le réel, à savoir dans les sensations que provoquent en nous les phénomènes de la nature ; mais, par l’action prestigieuse du langage, cette sensation se transforme en conceptions extravagantes. La pensée religieuse n’entre en contact avec la réalité que pour la recouvrir aussitôt d’un voile épais qui en dissimule les formes véritables : ce voile, c’est le tissu de croyances fabuleuses qu’ourdit la mythologie. Le croyant vit donc, comme le délirant, dans un milieu peuplé d’êtres et de choses qui n’ont qu’une existence verbale. C’est, d’ailleurs, ce que reconnaît Max Müller lui-même, puisqu’il voit dans les mythes le produit d’une maladie de la pensée. Primitivement, il les avait attribués à une maladie du langage ; mais

  1. L’argument, il est vrai, n’atteint pas ceux qui voient dans la religion une technique (notamment une hygiène), dont les règles, tout en étant placées sous la sanction d’êtres imaginaires, ne laissent pas d’être bien fondées. Mais nous ne nous arrêterons pas à discuter une conception aussi insoutenable, et qui, en fait, n’a jamais été soutenue d’une manière systématique par des esprits un peu au courant de l’histoire des religions. Il est difficile de faire voir en quoi les pratiques terribles de l’initiation servent à la santé qu’elles compromettent ; en quoi les interdictions alimentaires, qui portent très généralement sur des animaux parfaitement sains, sont hygiéniques ; comment les sacrifices, qui avaient lieu lors de la construction d’une maison, la rendaient plus solide, etc. Sans doute, il y a des préceptes religieux qui se trouvent, en même temps, avoir une utilité technique ; mais ils sont perdus dans la masse des autres et même, très souvent, les services qu’ils rendent ne sont pas sans compensation. S’il y a une prophylaxie religieuse, il y a une saleté religieuse qui dérive des mêmes principes. La règle qui ordonne d’éloigner le mort du camp parce qu’il est le siège d’un esprit redouté est pratiquement utile. Mais la même croyance fait que les parents soignent avec les liquides issus du corps en putréfaction, parce qu’ils passent pour avoir des vertus exceptionnelles. — Sous le rapport technique, la magie a plus servi que la religion.