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toute sorte d’énigmes et c’est pour résoudre ces problèmes que les mythes furent inventés. Il arriva qu’un même objet reçût une pluralité de noms, correspondant à la pluralité d’aspects sous lesquels il se présentait dans l’expérience ; c’est ainsi qu’il y a plus de vingt mots dans les Vedas pour désigner le ciel. Parce que les mots étaient différents, on crut qu’ils correspondaient à autant de personnalités distinctes. Mais en même temps, on sentait forcément que ces personnalités avaient un air de parenté. Pour en rendre compte, on imagina qu’elles formaient une même famille ; on leur inventa des généalogies, un état civil, une histoire. Dans d’autres cas, c’étaient des choses différentes qui étaient désignées par un même terme : pour expliquer ces homonymies, on admit que les choses correspondantes étaient des transformations les unes des autres, et on forgea de nouvelles fictions pour rendre intelligibles ces métamorphoses. Ou bien encore un mot qui avait cessé d’être compris fut l’origine de fables destinées à lui donner un sens. L’œuvre créatrice du langage se poursuivit donc en constructions de plus en plus complexes et, à mesure que la mythologie vint doter chaque dieu d’une biographie de plus en plus étendue et complète, les personnalités divines, d’abord confondues avec les choses, achevèrent de s’en distinguer et de se déterminer.

Voilà comment se serait constituée la notion du divin. Quant à la religion des ancêtres, elle ne serait qu’un reflet de la précédente[1]. La notion d’âme se serait d’abord formée pour des raisons assez analogues à celles que donnait Tylor, sauf que, suivant Max Müller, elle aurait été destinée à rendre compte de la mort, et non du rêve[2]. Puis,

  1. Anthropological Religion, p. 128-130.
  2. L’explication, d’ailleurs, ne vaut pas celle de Tylor. D’après Max Müller, l’homme n’aurait pu admettre que la vie s’arrêtât avec la mort ; d’où il aurait conclu qu’il existe, en lui, deux êtres dont l’un survit au corps. On voit mal ce qui pouvait faire croire que la vie continue quand le corps est en pleine décomposition.