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D’abord, les racines sont typiques ; c’est-à-dire qu’elles expriment non des choses particulières, des individus, mais des types et même des types d’une extrême généralité. Elles représentent les thèmes les plus généraux de la pensée ; on y trouve, comme fixées et cristallisées, ces catégories fondamentales de l’esprit qui, à chaque moment de l’histoire, dominent toute la vie mentale et dont les philosophes ont, bien des fois, tenté de reconstituer le système[1].

En second lieu, les types auxquels elles correspondent sont des types d’action, non d’objets. Ce qu’elles traduisent, ce sont les manières les plus générales d’agir que l’on peut observer chez les vivants et, plus spécialement, chez l’homme : c’est l’action de frapper, de pousser, de frotter, de lier, d’élever, de presser, de monter, de descendre, de marcher, etc. En d’autres termes, l’homme a généralisé et nommé ses principaux modes d’action avant de généraliser et de nommer les phénomènes de la nature[2].

Grâce à leur extrême généralité, ces mots pouvaient aisément s’étendre à toute sorte d’objets qu’ils ne visaient pas primitivement ; c’est d’ailleurs cette extrême souplesse qui leur a permis de donner naissance aux mots multiples qui en sont dérivés. Quand donc l’homme, se tournant vers les choses, entreprit de les nommer afin de pouvoir les penser, il leur appliqua ces vocables bien qu’ils n’eussent pas été faits pour elles. Seulement, en raison de leur origine, ils ne pouvaient désigner les différentes forces de la nature que par celles de leurs manifestations qui ressemblent le plus à des actions humaines : la foudre fut appelée quelque chose qui creuse le sol en tombant ou qui répand l’incendie, le vent quelque chose qui gémit ou qui souffle, le soleil quelque chose qui lance à travers l’espace des flèches dorées, la rivière quelque chose qui court, etc.

  1. Physic. Rel., p. 133 ; The Science of Thought, p. 2l9 ; Nouvelles leçons sur la science du langage, t. II, p. 1 et suiv.
  2. The Science of Thought, p. 272.