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qui montre bien que cette signification était primitive, c’est qu’elle s’est conservée dans d’autres langues indo-européennes : le latin ignis, le lituanien ugnis, l’ancien slave ogny sont évidemment proches parents d’Agni. De même, la parenté du sanscrit Dyaus, du Zeus grec, du Jovis latin, du Zio du haut allemand, est aujourd’hui incontestée. Elle prouve que ces mots différents désignent une seule et même divinité que les différents peuples indo-européens reconnaissaient déjà comme telle avant leur séparation. Or Dyaus signifie le ciel brillant. Ces faits et d’autres semblables tendent à démontrer que, chez ces peuples, les corps et les forces de la nature furent les premiers objets auxquels se prit le sentiment religieux : ils furent les premières choses divinisées. Faisant un pas de plus dans la voie de la généralisation, Max Müller s’est cru fondé à conclure que l’évolution religieuse de l’humanité en général avait eu le même point de départ.

C’est presque exclusivement par des considérations d’ordre psychologique qu’il justifie cette inférence. Les spectacles variés que la nature offre à l’homme lui paraissent remplir toutes les conditions nécessaires pour éveiller immédiatement dans les esprits l’idée religieuse. En effet, dit-il, « au premier regard que les hommes jetèrent sur le monde, rien ne leur parut moins naturel que la nature. La nature était pour eux la grande surprise, la grande terreur ; c’était une merveille et un miracle permanent. Ce fut seulement plus tard, quand on découvrit leur constance, leur invariabilité, leur retour régulier, que certains aspects de ce miracle furent appelés naturels, en ce sens qu’ils étaient prévus, ordinaires, intelligibles… Or c’est ce vaste domaine ouvert aux sentiments de surprise et de crainte, c’est cette merveille, ce miracle, cet immense inconnu opposé à ce qui est connu… qui donna la première impulsion à la pensée religieuse et au langage religieux »[1].

  1. Physical Religion, p. 119-120.