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ÉDOUARD.

timent nouveau que j’éprouvais, et la forme et la vie étaient données à tous ces vagues fantômes de mon imagination.

L’abbé se réveilla comme je finissais le récit des premiers jours de ma jeunesse. Un moment après M. le maréchal d’Olonne arriva.

Madame de Nevers et lui me dirent adieu avec bonté. Il me recommanda de hâter tant que je pourrais la fin de mes affaires, et me dit que, pendant mon absence, il s’occuperait de moi. Je ne lui demandai pas d’explication. Madame de Nevers ne me dit rien, elle me regarda, et je crus lire un peu d’intérêt dans ses yeux : mais que je regrettais la fin de notre conversation ! Cependant j’étais content de moi ; je ne lui ai rien dit, pensais-je, et elle ne peut m’avoir deviné. C’est ainsi que je rassurais mon cœur. L’idée que madame de Nevers pourrait soupçonner ma passion me glaçait de crainte, et tout mon bonheur à venir me semblait dépendre du secret que je garderais sur mes sentiments. J’accomplis le triste devoir que je m’étais imposé, et pendant le voyage je fus un peu moins tourmenté du souvenir de madame de Nevers. L’image de mon père mort effaçait toutes les autres : l’amour mêle souvent l’idée de la mort à celle du bonheur ; mais ce n’est pas la mort dans l’appareil funèbre dont j’étais environné, c’est l’idée de l’éternité, de l’infini, d’une éternelle réunion,