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ÉDOUARD.

La veille de mon départ, M. le maréchal d’Olonne alla passer la journée à Versailles ; je dînai seul avec madame de Nevers et l’abbé Tercier. Cet abbé demeurait à l’hôtel d’Olonne depuis cinquante ans ; il avait été attaché à l’éducation du maréchal, et la protection de cette famille lui avait valu un bénéfice et de l’aisance. Il faisait les fonctions de chapelain, et était un meuble aussi fidèle du salon de l’hôtel d’Olonne, que les fauteuils et les ottomanes de tapisserie des Gobelins qui le décoraient. Un attachement si long de la part de cet abbé avait tellement lié sa vie à l’existence de la maison d’Olonne, qu’il n’avait d’intérêt, de gloire, de succès et de plaisirs que les siens ; mais c’était dans la mesure d’un esprit fort calme, et d’une imagination tempérée par cinquante ans de dépendance. Il avait un caractère fort facile : il était toujours prêt à jouer aux échecs ou au trictrac, ou à dévider les écheveaux de soie de madame de Nevers ; et, pourvu qu’il eût bien dîné, il ne cherchait querelle à personne. La veille donc du jour où je devais partir, voyant que madame de Nevers ne voulait faire usage d’aucun de ses petits talents, l’abbé s’établit après dîner dans une grande bergère, auprès du feu, et s’endormit bientôt profondément. Je restai ainsi presque en tête à tête avec celle qui m’était déjà si chère. J’aurais dû être heureux, et cependant un embarras indéfinissable vint me saisir,