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ÉDOUARD.

des buis, ornée de quelques fleurs, et d’où l’on avait la vue de la forge, des montagnes et de la rivière. Il n’y avait point là de village. Il était situé à un quart de lieue plus haut, sur le bord du torrent, et chaque matin la population, qui travaillait aux forges presque tout entière, passait sous la plate-forme en se rendant aux travaux. Les visages noirs et enfumés des habitants, leurs vêtements en lambeaux, faisaient un triste contraste avec leur vive gaîté, leurs chants, leurs danses, et leurs chapeaux ornés de rubans. Cette forge était pour moi à la campagne ce qu’était à Lyon la petite pointe de sable et le cours majestueux du Rhône : le mouvement me jetait dans les mêmes rêveries que le repos. Le soir, quand la nuit était sombre, on ne pouvait m’arracher de la plate-forme ; la forge était alors dans toute sa beauté ; les torrents de feu qui s’échappaient de ses fourneaux éclairaient ce seul point d’une lumière rouge, sur laquelle tous les objets se dessinaient comme des spectres ; les ouvriers, dans l’activité de leurs travaux, armés de leurs grands pieux aigus, ressemblaient aux démons de cette espèce d’enfer ; des ruisseaux d’un feu liquide coulaient au dehors ; des fantômes noirs coupaient ce feu, et en emportaient des morceaux au bout de leur baguette magique, et bientôt le feu lui-même prenait entre leurs mains une nouvelle forme. La variété des attitudes, l’éclat de