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ÉDOUARD.

saurait définir. Je ne pouvais concevoir pourquoi je n’avais jamais rencontré Édouard, tant il paraissait appartenir à la société où j’avais passé ma vie. Je le lui dis un jour, et cette simple remarque amena ce que j’avais si longtemps sollicité en vain. Je ne dois plus vous rien refuser, me dit-il ; mais n’exigez pas que je vous parle de mes peines ; j’essaierai d’écrire, et de vous faire connaître celui dont vous avez conservé la vie aux dépens de la vôtre. Bientôt je me repentis d’avoir accepté cette preuve de la reconnaissance d’Édouard. En peu de jours, il retomba dans la profonde mélancolie dont il s’était un moment efforcé de sortir. Je voulus l’engager à interrompre son travail. Non, me dit-il ; c’est un devoir, je veux le remplir. Au bout de quelques jours, il entra dans ma chambre, tenant dans sa main un gros cahier d’une écriture assez fine. — Tenez, me dit-il, ma promesse est accomplie, vous ne vous plaindrez plus qu’il n’y a pas de passé dans notre amitié ; lisez ce cahier, mais ne me parlez pas de ce qu’il contient ; ne me cherchez même pas aujourd’hui, je veux rester seul. On croit ses souvenirs ineffaçables, ajouta-t-il ; et cependant quand on va les chercher au fond de son âme, on y réveille mille nouvelles douleurs. Il me quitta en achevant ces mots, et je lus ce qui va suivre.