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OURIKA.

suaderez jamais, répliqua-t-elle ; mais puisque vous me refusez votre confiance, et que vous assurez que vous n’avez point de secret, eh bien ! Ourika, je me chargerai de vous apprendre que vous en avez un. Oui, Ourika, tous vos regrets, toutes vos douleurs ne viennent que d’une passion malheureuse, d’une passion insensée ; et si vous n’étiez pas folle d’amour pour Charles, vous prendriez fort bien votre parti d’être négresse. Adieu, Ourika, je m’en vais, et je vous le déclare, avec bien moins d’intérêt pour vous que je n’en avais apporté en venant ici. » Elle sortit en achevant ces paroles. Je demeurai anéantie. Que venait-elle de me révéler ! Quelle lumière affreuse avait-elle jetée sur l’abîme de mes douleurs ! Grand Dieu ! c’était comme la lumière qui pénétra une fois au fond des enfers, et qui fit regretter les ténèbres à ses malheureux habitants. Quoi ! j’avais une passion criminelle ! c’est elle qui, jusqu’ici, dévorait mon cœur ! Ce désir de tenir ma place dans la chaîne des êtres, ce besoin des affections de la nature, cette douleur de l’isolement, c’était les regrets d’un amour coupable ! et lorsque je croyais envier l’image du bonheur, c’était le bonheur lui-même qui était l’objet de mes vœux impies ! Mais qu’ai-je donc fait pour qu’on puisse me croire atteinte de cette passion sans espoir ? Est-il donc impossible d’aimer plus que sa vie avec innocence ? Cette mère qui se