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OURIKA.

tour, se nourrissait dans mon sein. Qu’avais-je fait à ceux qui crurent me sauver en m’amenant sur cette terre d’exil ? Pourquoi ne me laissait-on pas suivre mon sort ? Eh bien ! je serais la négresse esclave de quelque riche colon ; brûlée par le soleil, je cultiverais la terre d’un autre ; mais j’aurais mon humble cabane pour me retirer le soir ; j’aurais un compagnon de ma vie et des enfants de ma couleur qui m’appelleraient : Ma mère ! Ils appuieraient sans dégoût leur petite bouche sur mon front ; ils reposeraient leur tête sur mon cou, et s’endormiraient dans mes bras ! Qu’ai-je fait pour être condamnée à n’éprouver jamais les affections pour lesquelles seules mon cœur est créé ? Ô mon Dieu ! ôtez-moi de ce monde ; je sens que je ne puis plus supporter la vie. À genoux dans ma chambre, j’adressais au Créateur cette prière impie, quand j’entendis ouvrir ma porte : c’était l’amie de madame de B., la marquise de…, qui était revenue depuis peu d’Angleterre, où elle avait passé plusieurs années. Je la vis avec effroi arriver près de moi ; sa vue me rappelait toujours que, la première, elle m’avait révélé mon sort ; qu’elle m’avait ouvert cette mine de douleurs où j’avais tant puisé. Depuis qu’elle était à Paris, je ne la voyais qu’avec un sentiment pénible.

« Je viens vous voir et causer avec vous, ma chère Ourika, me dit-elle. Vous savez combien