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OURIKA.

tincte en moi : Je voudrais mourir. Dans d’autres moments, j’étais plus agitée ; je me rappelais tous les mots de cette dernière conversation que j’avais eue avec Charles dans la forêt ; je le voyais nageant dans cette mer de délices qu’il m’avait dépeinte, tandis que je mourais abandonnée, seule dans la mort comme dans la vie. Cette idée me donnait une irritation plus pénible encore que la douleur. Je me créais des chimères pour satisfaire à ce nouveau sentiment ; je me représentais Charles arrivant à Saint-Germain ; on lui disait : Elle est morte. Eh bien ! le croiriez-vous ? je jouissais de sa douleur ; elle me vengeait. Et de quoi ? grand Dieu ! De ce qu’il avait été l’ange protecteur de ma vie ? Cet affreux sentiment me fit bientôt horreur ; j’entrevis que, si la douleur n’était pas une faute, s’y livrer comme je le faisais pouvait être criminel. Mes idées prirent alors un autre cours ; j’essayai de me vaincre, de trouver en moi-même une force pour combattre les sentiments qui m’agitaient ; mais je ne la cherchais point, cette force, où elle était. Je me fis honte de mon ingratitude. Je mourrai, me disais-je, je veux mourir, mais je ne veux pas laisser les passions haineuses approcher de mon cœur. Ourika est un enfant déshérité ; mais l’innocence lui reste : je ne la laisserai pas se flétrir en moi par l’ingratitude, je passerai sur la terre comme une ombre ; mais, dans le tombeau,