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30 LUCILE.


sans m'interrompre une minute d' Varrivera si tu retournes dans les rangs républ que l'on te condammera coume espion! :

— Moi, condamné comme espion ! in'écriai-je en inter- rompant,vivement Anselme, |

— Certes, reprit-il, et quoi donc d'étrange à cela? Tu es tombé avec un de tes Officiers entre Les maîns des bri- gands, on a supplicié ton officier, el toi l'on l’a renvoyé sans loucker à un cheveu de La tête, Il est évident, je te le répète, que Lu seras accusé d'être au moins un traître, À présent, supposons, si Lu le veux, que tes chefs trouvent naturel que les brigands aient été”pour toi d'une douceur si insolite, adwetlons même encore qu'au moyen d'un men- songe Lu leur fasses croire que Lu es parvenu à te sauver : ta position p'en sera pas moins toujours des plus fausses, car tu nous a engagé la parole de ne plus porter les armes con- tre nous, el je le sais trop honnêle homme pour manquer à ton serment. 1] faudra donc Le mettre en révolte ouverte vis-à-vis de tes chefs, refuser d'obéir à leurs ordres? Que feras-lu, ;

— Le fait est, répondis-je après avoir réfléchi pendant uné minulé, que ma position n'est pas gaie? Tes raisonne- menls ne manquent pas de justesse, el je ne vois pas trop comment je puis concilier ma sûrelé avec mon honneur.

— Tu ne le peux pas, me dit vivemeut Ausélme.

— Mais que faire alors, que devenir?

— Écoule, cher ami, si lon affection pour moi esl ton- jours telle aujourd'hui que jadis, lon malheur peut m'être fort utile, Je suis chargé d’une mission extrèmement difi- gile à remplir, c'est-à-dire que je dois conduire madam, travers Toute la Vendée jusqu'au cœur de la Bretagne s’agit, à-ce qu'il paraît, d'une chose très-grave pour notre parti! Veux-lu m'accompugner dans mon périlleux voyage et partager nos dangers? A présent; pas de mauvais prétexte ou de demi-mols, c'est un oui ou un non bien formel que je te demande.

A celle proposition, à laquelle j'étais si loin de m'attendre, je restai tout ébahi et ne sachant que répondre. Le regard de l'incouaue que je surpris allaché sur moi, et dans lequel je crus lire une méprisante ironie, moliva, — je l° ma honte, — ma réponse : ne voulant pas passer aux yeux d'une femme pour uy être d'une nature pusillanime et mes- quine, j’acceptai,

— Eh bien, vrail je ne m'altendais pas à moins de toi! s'écria Anselme en me serrant avec lransport dans ses bras. Je savais bien que iu ne m'abandonnerais pas dans le danger,


Quant à l'incounue, le sourire avec lequel elle me paya de mon dévouement fut tellement enchanteur, qu'ébloui, fas- ciné, je m'applaudis en moi-même de ma résolution : l'idée


de partager la bonne et la mauvaise fortune de cette cl mante femme, d’altacher, pendant un long voyage, qui pro- meltait d’être fécond en dangers, mon sorl au sien, souriait vivement à mon imagination, Celle aaire réglée, je priai Anselme d'aller s'informer de ce qu'était devenu le capitaine Cherche-à-Manger. Mon ami Anselme, Loyjours complaisant, s'empressa de se rendre à mon désir el sortit aussitôt du souterrain. — Eh bien ? lui demaudai-je quelques minutes plus tard, dorsqu'il revint. . = Eh bien! me répondi : pas mort Lou à fait, mais il n'a plus une heuri Tiens, continua Aoselme, qui, en voyant que j roger. de nouveau, se hâla de reprendre la parole, ne m'a- dresse plus, je l'eu gonjure, aucune question à ce sujet. J'ai beau me répéter que ce misérable élait digne de tous les tourmeuts, je oe puis penser à ce que j'ai vu sans me senir révolté d’indignalion et d'horreur, Oh! c'est alfreux ! Quelque cruel et implacable qu'eùl été Cherche-à-Manger, on n’eût pas dù se livrer sur lui à de telles ahominations. Affreux! affreux! je te le répèle, ne parlons plus de cela. La nuit était alors tout à fail venue, el nous nous pré- parâmes à goûler un. moment de repos. Toutefois, avaut de nous élendre sur la paille qui nous servait de lil, nops pri- mes jous part au mème souper,


Le curé dit ensuite la prière du soir, que les brigands écontèrent avec un pieux recueillement, el chacun se plaça le plus commodément qu'il put.

Je remarquai avec plaisir que les Vendéens laissèrent au fond du souterrain un assez vaste espace libre pour l'incon- nue confiée à la garde d’Anselne, et qu'ils allumèrent deux nouvelles torches résineuses qui, à en juger par leur dimen- sion, devaient durer Loule la nuit.

Quant à la belle héroïne politique, avant de se coucher toute habillée sur la paille qui lui servait de lit, elle déposa tout pe d'elle et à portée de sa main une paire de petits pistolets,

J'étais tellement brisé de fatigne, que je ne tardai pas à ndorir d'un profond sommeil,

Le lendemain matin, Anselme me réveilla; je me hâtai de me lever,

— Cher ami, me dit-il, en me présentant un fusil, une paire de pistolets et deux piquets de cartouches, voici le


Lu


mowent d'entrer en campagne venu, u te repens de La détermination d'hier, rien ne l'empêche de te dédir — Le fait est que je serais désolée, monsieur, qu’il vous

arrivat malheur à cause de moi, ajouta la belle inconnue en w'adressant le plus séduisant sourire que j'aie jamais vu de ma vie; réfléchissez douc mürement, je vous en conjure, avant de vous engager dans notre périlleuse entreprise,

— Je n'ai jamais qu'une parole, madame, lui répondis-je,

el je n'éprouve, en ce moment, qu'un regret, celui de ne pouvoir ons montrer, par un plus grand sacrifice, l'adii ration que me cause volre courage. Auselme, partons, je suis prêt. Parité spectacle m'attendait à la sortie. du sonterrain ; c’est-à-dire le cadavre du capitaine Cherche-à-Manger, qui, horriblement mutilé et presque méconnaissable, pendail aceroché à la plus hante branche d’un chêne, Je détouruai avec horreur ma vue de ce hideux et sanglant objet,

Il y avait environ une heure que nous marchions en si- lence dans la forêt, lorsque Anseline se rapprochant de nous el baissant la voix : L

— Je crains bien, murmura-t-il, d'av et que nous ne soyons lout à fail égarés!

— Que cela ne vous inquiète oullement, Ini dit l'inconnue en souriant, celle fois n’est pas la prem ue je parcours le pays, et je possède une mémoire locale fort rare, qui me permet de Vous servir de guide,

L'inconnue, — qu'Anseline appelait toujours de son pré- now Lucile, — jetant alors autour d'elle un coup d'ail ra pide et assuré, S'avança bientôt sans hésiter dans une di- reclion opposée à celle que nous suivions: cinq minutes plus lard, nous trouvions le sentier qu'Anselie avait perdu. Vraiment, madame Lucile, lui dit mon ami, si ce n'é- at voire beauté et volre grâce, je ne verrais jamais en vons une femme. Vous possédez un sang-froid et une fermeté d'esprit que bien des hommes, et je parle des mieux doués, vous envirraient,

— Le dévouement absolu à un principe sacré met une force invincible au cœur des plus faibles, répondit-elle en rougissant et en baissant modestement les yeux.

3e demanilerai à présent la permi: au lecteur de pas- ser, sans m'y arrêer, sur les incidents fort ordinaires à celle époque qui signalèrent, pendant la semaine qui suivit épart du bois de la Peurgnière, notre voyage à tra- vers la Vendée,

Vingt fois nous fûmes sur le point de tomber entre les wains des patauds (1) ou d’être pris par les troupes de li- gue; mais toujours, grâce à notre prudence et surtout aux excellents conseils que nous donna Lucile, nous sorlimes sains el saufs de ces alertes et de ces dangers.

Lorsque nous arrivames en Bretagne, il n'était question que du général Hoche qui s'y trouvait alors : ce général, bieu supérieur par l'intelligence à ses devanciers, avait cuwpris qu'il n’y avait d'aulre moyen à employer pour sou-


r fait fausse route,


(1) On appelait ainsiles gardes uationqux révublicains,