Des comestibles !
C’est la manne du dessert !…
Du désert !…
J’ veux bien, pourvu que je mange.
Et moi qui vous prenais pour un affreux cancre !
Vous avez dit, noble étranger : « Si on m’invite, j’accepte… » Eh bien ! je vous invite !
Et nous acceptons… (Refrain des Hirondelles.) ô bonheur !
Ô douceur !
Oh ! Mossieur !
Madame ! (La regardant. À part.) Oh ! Simplette en brigande !
C’est lui !… C’est Ignace… Je le reconnais à ses cheveux !
Si elle me reconnaît, elle est dans le cas de me poignarder.
S’il met mon nom sur ma frimousse, il va me dénoncer à ma noble famille, et alors bien le bonjour le drame et la comédie…
Oh ! je tiens mon moyen ! Voyons s’ils sont aussi braves qu’ils en ont l’air, (Haut, offrant la main à Gigolette.) Donnez-vous donc la peine de vous asseoir !… J’aurai l’honneur de vous servir… (Remontant vers la porte du fond.) Si vous ne déjeunez pas seuls, vous aurez une très-jolie compagnie, car j’aperçois là-bas, sur la route, la brigade de gendarmerie…
Hein ?
Les gendarmes qui nous cherchent… Mes enfants, c’est le moment de jouer la scène de la Fille de l’air.
J’entends les gros talons, détallons !
- Détallons et fuyons !
- bis. Dépêchons, détallons !
(Ils se sauvent en imitant les danseuses qui rentrent dans la coulisse, les bras en l’air et sur les pointes.)
Scène V.
Oh ! quelle idée !… Ils se sauvent… J’ai bien envie d’en faire autant. Avant tout, serrons les sardines dans le buffet.
Je vais m’assurer si ce sournois-là a deviné la paysanne dans la comédienne.
Comment ! elle revient ? Heureusement elle est sans armes. (À Gigolette.) Il paraît que vous ne craignez pas la maréchaussée ?
Est-ce qu’on craint quelque chose dans notre vie de bohème, quand on a pour arme le masque d’Athalie et le poignard de la belle Pomène !
Le poignard de la belle Pomène ?
- La Gitana, croyez bien ça,
- Toujours rira
- Et chantera !
- Ah !
- Au point du jour, comme la fauvette,
- Elle chante en s’éveillant.
- Le soir venu, joyeuse fillette.
- Elle rit en s’endormant,
- Elle rit même en rêvant.
- La Gitana, croyez bien ça,
- Toujours rira
- Et chantera !
- Ah ! ah ! ah !
- Pendant l’orage elle rit et chante,
- En bravant l’éclair qui luit.
- Dans son esquif narguant la tourmente,
- Sur l’onde elle chante et rit,
- Sur l’onde elle chante et rit.
- La Gitana, croyez bien ça,
- Toujours rira,
- Et chantera !
- Ah ! ah ! ah !
Décidément elle ne me reconnaît pas, et je reste.
Mais viens donc ! viens donc !
Bon ! revoilà mes deux scélérats !
Scène VI.
Qu’est-ce que vous nous disiez donc, hôtelier de mon cœur ? pas plus de tricornes que sur ma main. (Coup de pied.)
Bien sûr ?
Est-ce que tu voudrais nous faire poser, laquais sans livrée ? (Coup de pied.)
Oh ! je remets les sardines. (Il va au buffet.)
À table !
Ô Simplette ! si tu n’avais pas tant de charmes, comme je filerais !
Comment, une sardine pour potage !
Une sardine ! passe-moi-z-en une.
Passe-m’en.
J’veux bien, pourvu que je mange.
Ce petit poisson est excellent.
Si on pouvait dire au moins : Petit poisson deviendra grand !
Je vous assure qu’il est frais.
Oui, il effraye ceux qui veulent le manger. Voyons, la, en douceur, la main sur la conscience, est-ce qu’il n’y a pas là, sur la planche, quéque chose à se mettre sous la dent ?
Comment ! vous voulez vous mettre une planche sous la dent ? (Geste de Tromb.) Eh ! eh ! j’aurais bien un petit jambon.
Un jambon !
Il avait un jambon…
Et il ne le disait pas !
(Ils escortent Ignace qui porte le jambon sur un plat, Beaujolais à gauche, Vert-Panné à droite, Gigolette derrière Ignace, les mains étendues sur sa tête.)
J’hésitais à vous l’offrir, parce que ce n’est qu’un enfant du pays.
Un jambon de Bayonne ?
La terre promise…
La terre de Chanaan.
Kanaan.
J’ veux bien.
Terre de Chanaan, salut !