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cœur d’un ami. Je vais plus loin. Je comprends que vous aimiez un autre homme que votre mari, et que vous vous désespériez de ne pas avoir rencontré celui-là avant celui-ci. Eh bien, à quoi vous mène logiquement cette situation ? Au mépris, à la colère, à la vengeance, à la résignation, au suicide, à exécrer cet homme et peut-être les enfants qui sont issus de lui et dans lesquels vous le retrouvez, à être Hermione et à faire tuer Pyrrhus, à être Médée et à égorger vos fils ? Mais il n’y a aucun enchaînement admissible entre vos douleurs, vos jalousies, vos déceptions, vos désespoirs, et le petit acte spasmodique qui constitue l’adultère, qui est si peu dans vos droits, que vous le tenez aussi secret que possible, qui n’est que libertinage, puisque la maternité en est violemment arrachée, puisqu’il ne vous est pas permis de vous y oublier un instant, puisque votre présence d’esprit, armée de tout son sang-froid, est forcée de monter la garde autour de vos sens.

« L’entraînement, dites-vous. Un jour, pendant une confidence, pendant un aveu, notre corps, auquel nous ne songions même pas, a suivi notre âme ; nous ne sommes pas de marbre, nous sommes faites de chair et d’os, et, du moment que nous aimons, nous aimons selon les lois de la nature, et nous avons continué par plaisir, par habitude, par amour, ce que nous avions commencé par faiblesse. »

Voilà tout ce que je voulais entendre ; ne venez donc pas toujours invoquer les besoins de votre âme seule, et sachons définitivement que vous voulez en même temps donner pâture à vos sens. Eh bien, j’en suis désolé pour vous, madame, mais je ne vois pas de différence entre la femme qui, en dehors du mariage, se donne à un homme pour amuser son corps, et celle qui se donne pour nourrir ou parer le sien, si ce n’est que celle-ci ne dispose que d’elle-même, ne trompe personne, tandis que celle-là manque à la foi jurée, trahit son époux, compromet ses enfants et joue avec l’infanticide. Elle ne coûte rien, voilà son seul avantage.