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XIV


loigne à regret ! Elle donnait le bras, ce soir-là, à un autre étranger, à un nouveau venu, blond comme un Allemand, impassible comme un Anglais, très-vêtu, très-serré dans son habit, très-raide, et qui croyait faire, en ce moment, on le voyait à sa démarche, une de ces hardiesses sans nom, que les hommes se reprochent jusqu’à leur dernier jour.

L’attitude de cet homme était déplaisante certes pour la sensitive qui lui donnait le bras ; elle le sentait, avec ce sixième sens qui était en elle, et elle redoublait de hauteur, car son merveilleux instinct lui disait que plus cet homme était étonné de son action, plus elle-même en devait être insolente, et fouler d’un pied méprisant les remords de ce garçon effarouché. Peu de gens ont compris ce qu’elle a dû souffrir en ce moment, femme sans nom, au bras d’un homme sans nom, cet homme semblant donner le signal de l’improbation, et son attitude menaçante indiquant suffisamment une âme inquiète, un cœur indécis, un esprit mal à l’aise. Mais cet Anglo-Allemand fut cruellement châtié de ses angoisses intimes, lorsqu’au détour d’un grand sentier de lumière et de verdure, notre Parisienne eut fait la rencontre d’un ami à elle, d’un ami sans prétention, qui lui demandait, de temps à autre, un doigt de sa main