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l’invitait à boire l’eau absente et attendue depuis 1810. Le mulet allongeait la tête, ouvrait la narine, humait la chaleur de la pierre, — il fait un soleil d’Afrique à Rougiez, — et jetait à son maître un oblique regard, comme pour lui reprocher sa mystification. Or, ce regard, qui faisait rire à gorge déployée le Nansais, faisait grincer des dents aux Rougiessains. On résolut donc de trouver de l’argent à tout prix, dût-on vendre les vignes de Rougiez pour boire de l’eau ; d’ailleurs les Rougiessains avaient remarqué que rien n’altère comme le vin.

Le maire de Rougiez, qui a cent écus de rente, donna l’exemple du dévoûment ; ses trois gendres l’imitèrent : il avait marié ses trois filles dans l’intervalle ; quant à sa pauvre femme, elle était morte sans avoir eu la consolation de voir couler la fontaine. Tous les administrés, entraînés par un élan national, contribuèrent au prorata de leurs moyens ; on atteignit un chiffre assez élevé pour oser dire à l’architecte : Commencez le canal.

Enfin, mon cher, continua Méry, après vingt-six ans d’espérances conçues et détruites, les travaux ont été terminés la semaine dernière ; l’architecte répondit du résultat. L’inauguration de la fontaine fut fixée au dimanche suivant, et le maire de Rougiez invita, par des affiches et des circulaires, les populations des communes voisines à assister à la grande fête de l’eau sur la place de Rougiez.

Le programme était court, ce qui ne l’aurait rendu que meilleur, s’il eût été tenu.

Le voici :

« Art. 1er et unique. M. le maire ouvrira le bal sur la place de la Fontaine, et aux premiers sons du tambourin, la fontaine coulera. »

Vous comprenez, mon cher, ce qu’une pareille annonce attira de curieux. Il y eut d’énormes paris de faits, les uns parièrent que la fontaine coulerait, les autres parièrent que la fontaine ne coulerait pas.

On vint à la fête de tous les villages circonvoisins, de Tretz, qui s’enorgueillit de ses redoutes romaines ; du Plan d’Aups, illustré par l’abbé Garnier ; de Pépin, fier de ses mines de bouilles ; de Saint-Maximin, qui conserve la tête