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et qui portaient tant d’ardeur dans leur opinion politique, qu’on les appelait les arrabiati ou les enragés.

Aussi, le lendemain, dimanche des Rameaux, lorsque Savonarole monta en chaire pour expliquer sa conduite de la veille, les cris de : À bas le faux prophète ! À bas l’hérétique ! à bas l’excommunié ! se firent entendre de tous côtés, renouvelés avec tant d’acharnement que Savonarole, dont la voix était faible, ne put dominer ce tumulte. Alors Savonarole, voyant qu’il avait perdu toute son influence sur le peuple, qui, la veille encore, écoutait ses moindres paroles à genoux, se couvrit la tête de son capuchon, et se retira dans la sacristie ; puis, de la sacristie, gagna, sans être vu, son couvent. Mais cette retraite n’avait point désarmé les ennemis de Savonarole, et ils résolurent de le poursuivre à son couvent, où ils présumèrent avec raison qu’il s’était retiré. Les cris : À Saint-Marc ! à Saint-Marc ! se firent entendre. Ces cris, poussés par les rues, ameutèrent tous ceux chez lesquels ils éveillaient ou l’intérêt ou la vengeance. Le noyau d’insurrection se recruta à chaque pas, et bientôt la foule alla battre les murs de Saint-Marc comme une marée qui monte. À l’instant même les portes furent enfoncées, et le flot populaire se répandit dans le couvent.

Se doutant que c’était à lui que l’on en voulait, Savonarole ouvrit sa cellule et parut sur le seuil. Il y eut alors un instant d’hésitation parmi ces hommes habitués à trembler devant lui ; mais deux arrabiati s’étant jetés sur lui et ayant crié : Au bûcher, l’hérétique ! au gibet, le faux prophète ! On fit sortir Savonarole pour le conduire directement au supplice ; et ce ne fut qu’avec grand’peine que deux magistrats, accompagnés d’un corps de troupes réuni à la hâte au bruit de cette émeute, parvinrent à l’arracher des mains de cette populace, en lui promettant que justice serait faite, et qu’elle ne perdrait rien à attendre.

En effet, le 25 mai, c’est-à-dire quarante-deux jours après l’épreuve qui avait échoué, un second bûcher s’élevait sur la place du palais. Un poteau se dressait au milieu de ce bûcher, et à ce poteau étaient liés trois hommes ; ces trois hommes étaient frère Jérôme Savonarole, Dominique Bonvi-