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MARSEILLE EN 93.


Coquelin[1].


Vers le mois de mars 1793, un homme arriva de Paris à Marseille, se rendit immédiatement au palais, mit sur sa tête un chapeau orné de plumes tricolores, et déploya un papier signé par les membres du comité de salut public, lequel papier l’instituait président du tribunal révolutionnaire. On le laissa faire sans s’opposer en rien à son installation ; seulement on lui demanda comment il s’appelait : il répondit qu’il s’appelait le citoyen Brutus. C’était un nom fort à la mode à cette époque ; aussi personne ne s’étonna du choix qu’on avait fait à Paris du citoyen président du tribunal révolutionnaire de Marseille.

Pendant toute l’année 92 et tout le commencement de l’année 93, la guillotine avait un peu langui à Marseille, on en avait porté plainte au comité de salut public, et le comité de salut public avait envoyé, comme nous l’avons dit, le citoyen Brutus pour rendre un peu d’activité à la machine patriotique. À la première vue on put s’apercevoir que le choix était bon : le citoyen Brutus s’entendait à merveille à déverser sur les planches de la guillotine le trop-plein des prisons.

On lui remettait chaque matin des listes de suspects. Pour ne pas perdre son temps, Brutus emportait ces listes au tribunal révolutionnaire, condamnait à mort sans que la moindre émotion de plaisir ou de peine apparût sur sa longue et sèche figure. Puis, pendant que le greffier lisait l’ar-

  1. C’est la chronique de Louis Méry, que nous avions promise au deuxième volume des Impressions de voyage dans le midi de la France.